Épistémologie & Écrits

Étymologiquement, l’épistémologie est la science de la science, du grec ancien ἐπιστήμη (science) et λόγος (discours, et par extension, étude). C’est l’étude de la connaissance scientifique : ses pratiques, ses valeurs, ses méthodes, son histoire.

Les publications scientifiques sont la trace écrite des travaux des chercheurs et chercheuses depuis plusieurs siècles. À ce titre, elles permettent d’aborder plusieurs notions intéressantes sur la construction d’un savoir scientifique.

Vérité, consensus scientifique et réfutabilité

La recherche scientifique ne cherche pas une vérité qui serait absolue, mais à augmenter le champ des connaissances de manière collective. Lorsque la majorité des chercheuses et chercheurs travaillant sur un même sujet est d’accord, on parle d’un consensus scientifique. Il est fondé sur les résultats et les connaissances à un instant donné, mais il est toujours amené à évoluer avec l’ajout de nouvelles connaissances. 

En effet, les sciences ont pour particularité d’être basées sur une méthodologie et des critères, dont la réfutabilité. C’est-à-dire que tout savoir scientifique est admis par la communauté scientifique tant qu’il résiste aux travaux ultérieurs. Si de nouveaux arguments, de nouvelles expériences ou de nouvelles connaissances démontrent qu’il est partiellement ou totalement erroné, ce savoir sera mis à jour. Prenons deux exemples, en neurobiologie et en littérature.

Pour commencer, intéressons-nous aux neurones. Santiago Ramon y Cajal découvre qu’ils sont « les unités structurelles et fonctionnelles autonomes de base du système nerveux » à la fin du XIXe siècle [1]. Selon leurs travaux, les chercheurs de l’époque vont s’accorder sur le fait que tous les neurones se forment avant l’âge adulte. De ce fait, les neurones endommagés ou détruits ne seraient jamais remplacés [2]. Ce consensus scientifique a duré jusqu’au milieu du XXe siècle, lorsque des équipes de recherche démontrent la présence de nouveaux neurones dans le cerveau de différentes espèces animales adultes, dont l’humain (en 1998) [3]. Cette découverte a fait l’effet d’une révolution, et il est aujourd’hui admis comme consensus que ce que l’on appelle la neurogenèse adulte existe… pour le moment ! Elle fait aujourd’hui partie des mécanismes admis comme étant impliqués dans la plasticité cérébrale [4].

Première page de la version originale du livre « Oeuvres » de Louise Labé.
Œuvres, Louise Labé, 1555. Crédit : gallica.bnf.fr/BnF, domaine public.

La réfutation d’un consensus scientifique ne se limite pas aux sciences expérimentales. Pour exemple, la recherche en littérature du XVIe siècle, qui a récemment été témoin d’une controverse autour de l’existence littéraire de Louise Labé. Poétesse de la Renaissance, née à Lyon, on lui doit entre autres le célèbre sonnet « Je vis, je meurs… » publié dans ses Œuvres (1555). L’attribution des Œuvres à Louise Labé, malgré les zones d’ombre qui entourent sa vie, était très généralement admise par les spécialistes du sujet. Jusqu’à ce que Mireille Huchon, professeure des universités en langue et littérature française du XVIe, publie en 2006 un ouvrage sur ses recherches, intitulé Louise Labé : une créature de papier. Elle y remet en cause l’existence littéraire de Louise Labé : elle aurait certes existé, mais n’aurait rien écrit. Elle aurait — volontairement ou non — prêté son nom à un groupe de poètes lyonnais de la Renaissance [5]. Depuis l’élaboration de cette nouvelle théorie, aucun nouveau consensus n’a été trouvé. En effet, les travaux de M. Huchon ont suscité à la fois soutien [6] et opposition [7] parmi ses collègues [8]. Il faudra attendre de futures recherches avant de pouvoir éventuellement statuer sur l’identité littéraire formelle de Louise Labé.

Pour autant, la réfutabilité des théories scientifiques n’induit pas qu’il faille tout remettre en question en niant ou contestant par principe le socle de nos connaissances (relativisme absolu) [9, 10].

Démarche scientifique

Schéma cyclique avec les termes, dans l'ordre : « Hypothèses », « Recherches (expériences, etc.) »,« Résultats », « Interprétations » et « Conclusions »

Toute recherche scientifique est, en théorie, fondée selon le schéma suivant : suite à une idée ou une observation (sur le terrain, dans la bibliographie, suite à un précédent travail, etc.), une hypothèse est émise. Puis des travaux sont menés afin de la tester.

Les résultats obtenus donnent ensuite lieu à une ou plusieurs interprétations qui permettent de conclure sur la validité de l’hypothèse et d’inspirer le développement de nouvelles théories. Que l’hypothèse soit validée ou non, les conclusions conduisent à de nouvelles hypothèses, et ainsi de suite.

Cette description est une situation idéalisée. En général, le processus scientifique avance par le raffinement d’hypothèses suite à la conjonction de plusieurs résultats dont les interprétations sont plus ou moins claires. 

La diversité des travaux et de leur méthodologie précise est aussi vaste que les disciplines scientifiques elles-même : expériences, recherches de terrain, enquêtes ethnographiques, analyses de corpus de textes, simulations numériques, expériences de pensée, démonstrations et recherches de preuves mathématiques, etc.

La méthodologie de la recherche expérimentale est détaillée sur cette page.

Découvertes et erreurs 

En résumé, la méthodologie scientifique se fonde sur des allers-retours entre des hypothèses posées et les résultats des travaux de recherche. Aussi, la plupart des découvertes ne découle pas d’éclairs de génie mais d’un long travail semé d’embûches, d’impasses et d’erreurs. Elles sont essentielles et indissociables de tout processus de recherche.

Science et écrits

Les premières traces de pensée scientifique sont généralement attribuées à la civilisation mésopotamienne. L’un des textes les plus anciens, écrit sur une tablette d’argile, date de -687 et relate des observations astronomiques [11]. Ensuite, quelle que soit la civilisation et la période, seuls les écrits ont traversé le temps, permettant aux penseurs, savants, scientifiques et chercheurs des générations suivantes de poursuivre les travaux de leurs prédécesseurs.

L’étude de la bibliographie — c’est-à-dire des études et publications antérieures — fait partie intégrante du travail de recherche.

Les sciences et la connaissance sont en perpétuelle évolution ; chaque découverte n’est qu’un petit pas, une fraction de l’immensité de ce qu’il y a à comprendre. En parallèle, le système de partage des connaissances a lui aussi évolué avec le temps pour aboutir à la méthode de relecture par les pairs que les scientifiques utilisent aujourd’hui.

Système de publication actuel

Le fonctionnement du système actuel de publication basé sur la révision par les pairs, ainsi que ses limites, sont présentés sur cette page.

Pour aller plus loin dans la compréhension de l’élaboration du savoir scientifique, nous vous conseillons le livre « Qu’est-ce que la science ? » d’Alan Chalmers.


[1] En quelle année a-t-on définitivement établi la théorie du neurone ?, par Futura Santé.

[2] La neurogenèse adulte chez les Mammifères, par Planet-Vie.

[3] Neurogenèse adulte chez l’humain : la fin d’une polémique ?, par CNRS Le journal.

[4] Plasticité cérébrale : le cerveau, c’est fantastique, par La Méthode Scientifique.

[5] « Louise Labé : Une créature de papier » de Michelle Huchon, ed. Droz.

[6] Louise Labé, une géniale imposture, par Marc Fumaroli, par Le Monde

[7] Louise Labé est-elle « une créature de papier » ? de Daniel Martin, Réforme, Humanisme, Renaissance, 2006.

[8] Louise attaquée ! Louise Labé est-elle une créature de papier… ?, par la Société internationale pour l’étude des femmes de l’Ancien Régime.

[9] Recherche scientifique : à l’école de la pensée critique, par La Méthode Scientifique.

[10] « Le goût du vrai » d’Étienne Klein.

[11] L’histoire des Sciences, collection Chronologie, Bescherelle, ed. Hatier.


Texte et images, à l’exception des images soumises à droits d’auteurs différents : voir au cas par cas en légende.