Avez-vous déjà vu : le Jamais-Vu ?

Curiosité

Le Jamais-Vu décrypté par la recherche : quand la répétition d’un mot familier trouble son sens

Écriture : Coline Grégoire
Relecture scientifique :
Lucile Meunier-Duperray
Relecture de forme :
Mathilde Ruby et Lucile Rey

Temps de lecture : environ 8 minutes.
Thématiques :
Psychologie cognitive (Sciences cognitives)

Publication originale : O’Connor A.R., et al., Déjà Vu and other dissociative states in memory. Memory, 2021. DOI : 10.1080/09658211.2020.1727519. Accès libre sur HAL (pdf).

Une jeune fille copie sur une feuille plein de fois le mot "table", dans une pièce remplie de personnes qui semblent faire la même chose.
Créée avec CHAT GPT et DALL-E.

« table-table-table-table-table-table-table-table-table-table-table ». Avez-vous déjà répété un mot tant de fois qu’il finit par paraître particulier, comme étrange, presque vide de sens ? Imaginez écrire le mot « table » encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une série de lettres sans logique, comme un code secret que vous ne parvenez plus à déchiffrer. Ce sentiment déconcertant de voir l’ordinaire devenir inconnu porte un nom : le Jamais-Vu. Ce phénomène, qui intrigue scientifiques et psychologues, vient d’être étudié en laboratoire. Il a valu aux auteurs et autrices de cet article un Ig Nobel, un prix attribué « aux recherches qui font rire… puis réfléchir ».

Le mystère du « Jamais-Vu » : quand l’ordinaire devient étrange

Le Jamais-Vu est une expérience aussi commune qu’intrigante : il s’agit de cette sensation particulièrement étrange où, sans prévenir [1], un mot familier [2], un visage ou même un lieu bien connu semble devenir méconnaissable. Contrairement au Déjà Vu où une situation, pourtant objectivement nouvelle, donne l’impression d’être familière, le Jamais-Vu est une situation pourtant familière qui semble nouvelle [1] (Figure 1). Ces phénomènes, bien qu’amusants en apparence, ont fasciné les chercheur·ses pour ce que leur étude peut révéler sur les mécanismes de notre perception et de notre mémoire.

C’est justement pour comprendre cette sensation particulière liée à un mot/visage/lieu a priori connu, que l’équipe de scientifiques primée par un Ig Nobel [*] a tenté de reproduire l’expérience du Jamais-Vu en laboratoire. Leur méthode ? Faire répéter à des volontaires des mots simples, jusqu’à ce qu’ils et elles ressentent cette impression d’ « étrangeté », comme si le mot ne faisait plus sens pendant un court laps de temps. Derrière ce phénomène anodin se cache une question essentielle : comment notre esprit cesse-t-il, même brièvement, de reconnaître l’ordinaire ?

Sur la moitié gauche de l’image, une jeune fille est représentée dans un café. Elle est assise l’air interrogateur. Une bulle indique qu’elle dit : « Cela me semble familier … Je suis sûre que j’ai déjà vu cela, mais quand ? ». En bas, un sous-titre qualifie cette situation de “Déjà Vu”. Sur la moitié droite de l’image, exactement la même image qu’à gauche mais en miroir. Cette fois, la jeune fille dit “J’ai l’étrange impression de n’être jamais venue ici alors que je viens toutes les semaines.” Cette situation est annotée « Jamais Vu ».
Figure 1. Réalisée avec l’IA de Canva, modifiée par Coline Grégoire.

Comment évaluer le Jamais-Vu dans la recherche ? Deux expériences ingénieuses pour déclencher ce ressenti

Pour explorer un phénomène aussi insaisissable que le Jamais-Vu, l’équipe de scientifiques a conçu en laboratoire une méthode simple mais efficace : utiliser la répétition pour « saturer » notre perception d’un item connu ; celui-ci pouvant ainsi nous apparaître subitement comme inconnu. Leur idée est de re-créer volontairement une « déconnexion » avec un mot familier, pour qu’il semble inconnu. Attention ! Bien que ce qui va vous être présenté ci-après semble facile en théorie, induire une expérience de Jamais-Vu est rare et difficile à observer dans des conditions contrôlées de recherche scientifique.

Dans une première expérience, 93 volontaires ont eu pour mission de recopier le plus de fois possible un même mot en 2 minutes, puis de passer au suivant, et ce avec 12 mots différents [pour en savoir plus : voir Pour approfondir]. Ils et elles ont eu pour consigne de s’arrêter si :

  • (a) le mot semble bizarre/étrange ;
  • (b) l’ennui arrive ;
  • (c) leur main fait mal ;
  • (d) autre. 

 Si les volontaires choisissent la réponse (a), il leur a été demandé de préciser si le mot :

  • ne semble pas réel ;
  • est épelé correctement mais semble incorrect ;
  • l’écriture semble étrange ;
  • c’est comme s’ils ou elles voient le mot pour la première fois ;
  • autre.

Enfin, elles et ils ont dû quantifier ce sentiment sur une échelle allant de 1 « sentiment légèrement particulier » à 5 « sentiment extrêmement particulier ».

Chez 70,9 % des volontaires, au moins une expérience de Jamais-Vu a rapportée. En moyenne, chaque personne a vécu 3,51 épisodes, représentant environ 30 % des arrêts observés. Ces sensations sont justifiées par des descriptions variées : pour 43,3 % des volontaires, le mot est épelé correctement mais semble incorrect, pour 39,3 % l’écriture semble étrange, tandis que 24,5 % parlent d’une perte de réalité. 

Tout aussi intéressant, 14,4 % des volontaires ayant arrêté rapportent que c’est comme s’ils et elles voyaient le mot pour la première fois. Ces impressions, bien que modérément évaluées en termes d’étrangeté (2,63 sur 5 en moyenne), révèlent une perte de sens tangible, illustrée par des phrases comme : « Cela ressemblait à un simple assemblage de lettres et non à un mot complet ». Les scientifiques ont également noté que la sensation de Jamais-Vu survient rapidement, après environ 30 répétitions ou une minute d’écriture. Ce phénomène s’accompagne d’un taux d’écriture plus rapide, comme si la répétition prenait le pas sur la recherche du sens du mot. 

Pour approfondir les résultats de la première étude, il a été demandé dans une seconde étude à 120 volontaires de répéter le mot le plus fréquent de la langue anglaise : « the » (qui signifie « le » ou « la » en anglais), en l’écrivant jusqu’à 60 fois de suite. Une tâche simple en apparence, mais qui, au fil des répétitions, rendait le mot « de plus en plus bizarre ». L’objectif ? Tester si une tâche encore plus simple et brève pouvait, elle aussi, induire un sentiment de Jamais-Vu. 

Dans cette seconde étude, l’équipe de chercheur·ses n’a proposé qu’un seul mot à répéter jusqu’à 60 fois ou jusqu’à ce que ce mot semble bizarre. Les résultats confirment l’hypothèse que même cette simple tâche a pu induire un sentiment de Jamais-vu : 55 % des participants (soit 66 sur 120) ressentent une sensation de Jamais-Vu. Ce chiffre est remarquable étant donné que cette expérience n’inclut qu’une seule tentative, contrairement aux multiples essais de la première. Comme dans la première étude, les participant·es rapportent des impressions similaires, telles qu’une perte de contrôle de leur écriture ou une impression que le mot n’avait plus aucun sens. La sensation de Jamais-Vu apparaît après 27,7 répétitions, un chiffre comparable aux 33,6 répétitions de l’expérience précédente. Cette étude révèle également des différences comportementales : les participants qui ressentent une sensation de Jamais-Vu arrêtent d’écrire plus tôt (en moyenne après 27,7 répétitions) que ceux qui s’arrêtent pour d’autres raisons (38,6 répétitions). Ces résultats reproduisent [**] ceux de la première étude, expliquée plus haut. À noter qu’aucune différence notable n’a été observée entre les groupes en termes de caractéristiques démographiques (âge, niveau d’éducation). Ces résultats suggèrent que même une tâche courte et simple peut induire un phénomène aussi subtil que le Jamais-Vu, soulignant une fois de plus la complexité de nos perceptions.

Quand le cerveau décroche : ce que pourraient impliquer les résultats

Les résultats de ces deux expériences apportent des éclairages intéressants sur notre fonctionnement. Lors des tâches répétitives, une proportion notable de participant·es a rapporté une sensation de perte de familiarité, qualifiée de Jamais-Vu. Dans la première étude, environ 70 % des participant·es ont signalé cette expérience, tandis que dans la seconde, c’était le cas pour 55 % d’entre elles et eux.

Ce phénomène semble lié à ce que l’équipe de recherche appelle la saturation sémantique. L’idée est simple : la répétition continue d’un mot perturbe la représentation mentale de celui-ci, rendant difficile la connexion entre sa forme écrite et sa signification [3]. En extrapolant, ce processus pourrait être vu comme une tentative du cerveau de traiter des informations de manière plus efficace, en « désactivant » temporairement certains circuits habituels lorsqu’un stimulus est trop familier [4, 5]. L’étrangeté ressentie serait ainsi une conséquence de la saturation du système cognitif, qui préfère parfois amoindrir ou ralentir les connexions automatiques pour mieux gérer les ressources mentales. Cela permettrait une gestion plus fluide et plus rapide des processus en cours dans le but de suivre la consigne (ici : écrire le même mot pendant 2 minutes) ou un but précis. 

Prenons un exemple : dans l’expérience où les volontaires doivent écrire le mot « the » pendant 2 minutes, le cerveau peut progressivement cesser de traiter ce mot comme un mot porteur de sens. Il « bascule » alors son attention vers les circuits moteurs nécessaires pour continuer à écrire, au détriment des circuits sémantiques liés à sa signification. Résultat : le mot « the », pourtant ultra familier, commence à paraître étrange, voire vide de sens. Cela pourrait aussi expliquer pourquoi certaines personnes sont plus sensibles au Jamais-Vu que d’autres : selon leur tolérance à la surcharge cognitive, leur cerveau basculerait plus ou moins rapidement vers cette forme de « mode automatique ».

Un aspect clé de ce phénomène pourrait être lié à l’hypothèse de la familiarité [6, 7, 8], un concept central dans la compréhension du fonctionnement de la mémoire. Selon cette hypothèse, notre cerveau distingue deux processus dans le rappel d’informations : la remémoration (le rappel conscient d’un événement ou d’une information spécifique, accompagné de détails contextuels) et la familiarité (le fait de savoir qu’on a vécu quelque chose dans le passé sans se souvenir des détails du moment) [9]. Le Jamais-Vu pourrait être interprété comme un dysfonctionnement temporaire de ces deux processus, où la familiarité d’un mot, habituellement immédiate et fluide, devient altérée par la répétition excessive, qui, comme les auteurs et autrices l’indiquent ici, est la clé du phénomène de saturation sémantique. 

Cette perturbation provoquerait une déconnexion entre l’apparence du mot et son accès au sens, ce qui expliquerait les descriptions des participant·es, comme « le mot semblait étrange » ou « il ressemblait à un assemblage de lettres ». En d’autres termes, lorsque la familiarité échoue, notre perception automatique de la scène ou du moment est momentanément suspendue, forçant le cerveau à opérer une évaluation consciente et laborieuse pour associer ce que l’on voit à son sens. Ces observations s’inscrivent dans une réflexion plus large sur les mécanismes sous-jacents à la mémoire et à la perception, soulignant que même les processus les plus routiniers sont profondément dépendants de subtils équilibres cognitifs.

Enfin, l’équipe de scientifiques apporte un regard critique envers les deux études. Le phénomène de Jamais-vu est une sensation difficile à appréhender : peut-on être sûr·e que ce qui est mesuré dans ces études est assimilable au ressenti, au vécu du Jamais-vu par les individus ? ou bien, on pourrait se demander si provoquer « aussi facilement » le phénomène de Jamais-vu lors d’une expérience ne pourrait pas avoir un rôle sur la manière dont on le rapporte et l’interprète ? Dans la vie quotidienne, il semble plus difficile d’induire ce type de situation de manière volontaire. D’ailleurs, cela n’arrive-t-il qu’avec l’écriture répétée de mots ? Probablement que non ! Le Jamais-Vu apporte un aspect difficile à saisir et à toucher du doigt pour les scientifiques et pour les individus plus généralement : l’expérience subjective de la perte de sens.

Alors, comment notre esprit cesse-t-il, même brièvement, de reconnaître l’ordinaire ?

Ce phénomène, loin d’être une simple anomalie, nous en dit un peu plus, en réalité, sur la manière dont notre cerveau construit et réorganise constamment notre perception du monde, notamment par le fait de notre métamémoire [***], dont le Jamais-Vu est d’ailleurs un bon exemple. En d’autres termes, le Jamais-Vu nous rappelle que nous ne sommes pas seulement les spectatrices et spectateurs passifs de nos pensées : notre esprit est constamment en train de réfléchir sur lui-même, une capacité que les chercheur·ses en psychologie appellent la métacognition


Éléments pour approfondir

Les effets de la fréquence des mots. Une dimension clé explorée dans ces expériences est l’impact de la fréquence des mots sur l’apparition du phénomène de Jamais-Vu. Dans la première étude, il est constaté que les mots de faible fréquence (c’est-à-dire les mots moins courants dans le langage quotidien ; ici : gazon, usure, tintement, fièvre) induisent statistiquement significativement moins d’épisodes de Jamais-Vu par rapport aux mots de fréquence moyenne (ici : floraison, hall, secousse, acre) ou élevée (ici : porte, argent, pièce, boisson).

Les autrices et auteurs l’expliquent par le fait que les mots peu fréquents ne sont pas profondément ancrés dans notre mémoire, ou pas rapidement accessibles. En revanche, les mots fréquents, comme « porte » , sont tellement automatisés dans notre esprit qu’ils deviennent plus vulnérables aux interruptions de familiarité. Paradoxalement, plus nous sommes familiers avec un mot, plus il est susceptible de perdre momentanément son sens après des répétitions intenses. De plus, pour les participant·es qui arrêtent d’écrire le mot sans que cela ne soit lié à un sentiment de Jamais-Vu (ennui ou inconfort physique), la fréquence des mots joue un rôle bien moindre. Cela pourrait signifier que l’étrangeté du Jamais-Vu est étroitement liée à une trop grande stimulation causée par les mots familiers.

Le lien avec la dissociation. Cet article a également exploré le lien entre le Jamais-Vu et la dissociation [****], en utilisant une échelle de dissociation, un outil mesurant des expériences comme les pertes de familiarité ou les sensations de déconnexion avec la réalité. Les résultats montrent que les participant·es présentant des niveaux plus élevés de dissociation dans leur quotidien sont davantage susceptibles de rapporter des épisodes de Déjà Vu [*****], mais ce trait psychologique ne semble pas influencer directement leur sensibilité au Jamais-Vu. Ces observations suggèrent que le Jamais-Vu et le Déjà Vu, bien que étroitement liés, pourraient être influencés par des mécanismes psychologiques légèrement différents, la dissociation jouant un rôle plus marqué dans les expériences spontanées de Déjà Vu. Mais… est-ce aussi évident que cela ? 

Pour comprendre, nous devons nous intéresser aux recherches menées par Van den Hout et ses collègues [10], qui ont mis en évidence un lien potentiel entre certaines expériences de dissociation, des pathologies comme les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et la métamémoire. En 2003, cette équipe a notamment réalisé une étude soulignant l’importance de la métamémoire chez les personnes atteintes de TOC. Elle en a conclu que la répétition excessive de certains comportements comme la vérification, pouvait, paradoxalement, affaiblir la confiance de ces personnes en leur capacité à mémoriser. Autrement dit, plus nous vérifions, moins nous avons confiance dans les éléments vérifiés. Dans un cadre théorique ultérieur [11], Van den Hout et Kindt ont suggéré que les personnes atteintes de TOC et présentant des comportements de vérification ressentent le besoin fort de savoir si leurs souvenirs sont vrais. Ce sentiment est associé à des attentes élevées envers la performance de leur mémoire (par exemple, « être absolument certain·e d’avoir bien vérifié tel ou tel objet »). En conséquence, la personne peut ressentir un décalage entre ce qu’elle a fait et ce qu’elle « sait » ou se « souvient » avoir fait. Ce décalage peut provoquer une sensation de doute ou d’étrangeté envers ses propres actions, comme si elles n’étaient pas réellement les siennes ou n’avaient pas été réalisées. En état de dissociation, les individus peuvent ressentir leurs perceptions ou souvenirs comme peu fiables ou « irréels », ce qui n’est pas sans rappeler certaines impressions de Jamais-Vu. Toutefois, cette hypothèse (i.e., pourquoi certaines impressions de Jamais-Vu se manifestent dans des contextes où les perceptions et souvenirs semblent dissociés de la réalité) mérite d’être explorée davantage à travers des recherches futures.


[*] L’Ig Nobel est un prix humoristique et scientifique qui récompense des recherches ou des découvertes insolites, originales ou décalées, mais qui suscitent également la réflexion. Créé en 1991 par Marc Abrahams, fondateur du magazine Annals of Improbable Research, ce prix parodie le prestigieux Prix Nobel tout en mettant en lumière des travaux qui, selon la devise des Ig Nobel, « font d’abord rire, puis réfléchir ». Cette publication a gagné le prix suivant en 2023 : « LITERATURE PRIZE [FRANCE, UK, MALAYSIA, FINLAND] »

[**] La réplication est un processus essentiel en Sciences. Elle consiste à reproduire une étude, en suivant le même protocole ou en adaptant certaines conditions, pour vérifier si les résultats originaux se maintiennent. Ce principe renforce la validité des conclusions scientifiques et permet d’évaluer leur robustesse face à des variations d’échantillons, de contextes ou de méthodes. Par exemple, ici, la seconde étude réplique les résultats de la première en apportant de légères modifications au protocole de recherche (plus qu’un mot à écrire de manière répétée). Cependant, la psychologie a connu une crise de la réplication ces dernières années, avec certains résultats qui n’ont pas pu être répliqués dans des études ultérieures. De nombreux exemples sont présentés sur le site Data Colada. Ce défi a conduit à l’adoption de pratiques plus transparentes, notamment grâce au mouvement Open science (Science Ouverte ; [12, 13, 14]), dont le fait de favoriser les réplications d’études et leur publication dans les revues spécialisées.

[***] La métamémoire englobe l’ensemble des connaissances qu’un individu possède sur sa propre mémoire, sur le fonctionnement de la mémoire, son utilisation et sur les stratégies pouvant influencer sa mémoire. Elle repose sur deux piliers fondamentaux : d’une part, nos connaissances sur la mémoire, qui incluent notre compréhension de son fonctionnement, de ses limites, et des stratégies permettant de l’améliorer ; d’autre part, notre capacité de monitoring ou contrôle, qui consiste à évaluer en continu nos performances et à prendre conscience de nos processus mnésiques, comme la fiabilité de nos souvenirs ou l’efficacité de nos apprentissages. 

[****] La dissociation est un état psychologique caractérisé par un détachement entre les pensées, les souvenirs, les sensations et le sens de soi. Cet état peut se produire dans diverses situations, notamment lors d’épisodes de stress aigu, de traumatismes, ou dans des pathologies telles que l’amnésie dissociative, le trouble de stress post-traumatique, ou encore les troubles dissociatifs de l’identité. Il peut aussi apparaître temporairement chez des personnes sans pathologie, par exemple lors d’un état méditatif.

[*****] Le Déjà Vu est une expérience cognitive qui se traduit par une sensation intense d’avoir déjà vu une situation présente, alors même que celle-ci est nouvelle. Contrairement au Jamais-Vu, qui implique une perte de familiarité avec un élément connu, le Déjà Vu repose sur une illusion de situation familière. Voir [15]. Il existe différents moyens d’étudier le Déjà Vu : des recherches dites de laboratoire, comme celles présentées ici sur le Jamais-Vu, et d’autres effectuées en milieu davantage écologique (c’est-à-dire comme dans la vie de tous les jours). Désormais, de plus en plus de travaux se trouvent à l’intersection de ces deux méthodes, en utilisant notamment des outils technologiques comme la réalité virtuelle. Par exemple, en 2012, Anne Cleary et ses collègues [16] ont proposé d’induire et d’étudier le Déjà Vu auprès de volontaires en explorant l’hypothèse selon laquelle le phénomène de déjà-vu pourrait être déclenché par la similarité entre une situation actuelle et une expérience passée. L’équipe de scientifiques a utilisé la réalité virtuelle pour créer des environnements physiquement proches où la disposition spatiale des lieux (par ex : poste de soins infirmiers dans un hôpital) était similaire à d’autres (comme un hall d’événement scolaire) déjà vus par les participant·es, sans que ces dernier·es en aient un souvenir conscient. L’équipe a observé que le Déjà Vu se produit davantage lorsque les participant·es se retrouvent dans un lieu ayant une disposition semblable à un autre lieu qu’ils et elles ont vu auparavant, mais dont elles et ils ne se souviennent pas consciemment. Cela suggère que la ressemblance spatiale d’une situation à une scène mémorisée pourrait contribuer au phénomène du Déjà Vu, bien que d’autres facteurs puissent également en être responsables. 


[1] Moulin CJA., The Cognitive Neuropsychology of Déjà Vu (1st ed.). Routledge, 2017. DOI : 10.4324/9781315524931 [Livre de sciences]

[2] Severance E. & Floy Washburn M., The Loss of Associative Power in Words after Long Fixation. The American Journal of Psychology, 1907. DOI : 10.2307/1412411 [Publication scientifique]

[3] Giele CL.., et al., Ironic effects of compulsive perseveration. Memory, 2013. DOI : 10.1080/09658211.2012.727006 [Publication scientifique]

[4] Smith L. & Klein R., Evidence for semantic satiation: Repeating a category slows subsequent semantic processing. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition ,1990. DOI : 10.1037/0278-7393.16.5.852. [Publication scientifique]

[5] Lewis MB. & Ellis HD., Satiation in name and face recognition. Memory & Cognition, 2000. DOI : 10.3758/BF03198413. [Publication scientifique]

[6] Barzykowski K. & Moulin CJA., Are involuntary autobiographical memory and déjà vu natural products of memory retrieval? Behavioral and Brain Sciences, 2022. DOI : 10.1017/S0140525X22002035  [Publication scientifique]

[7] Brand KR., et al., Déjà vu and the entorhinal cortex: dissociating recollective from familiarity disruptions in a single case patient. Memory, 2018. DOI :  10.1080/09658211.2018.154343 [Publication scientifique]

[8] Jacoby LL., A process dissociation framework: Separating automatic from intentional uses of memory. Journal of Memory and Language, 1991. DOI :  10.1016/0749-596X(91)90025-F [Publication scientifique]

[9] Bastin C., et al., An integrative memory model of recollection and familiarity to understand memory deficits. Behavioral and Brain Science, 2019. DOI : 10.1017/S0140525X19000621[Publication scientifique]

[10] Hermans D., et al., Reality monitoring and metacognitive beliefs related to cognitive confidence in obsessive–compulsive disorder. Behaviour Research and Therapy, 2003. DOI : 10.1016/S0005-7967(02)00015-3 [Publication scientifique]

[11] van den Hout M. & Kindt M., Phenomenological validity of an OCD-memory model and the remember/know distinction. Behaviour Research and Therapy, 2003 DOI : 10.1016/S0005-7967(02)00097-9 [Review]

[12] Munafò MR., et al., A manifesto for reproducible science. Nature Human Behaviour, 2017. DOI : 10.1038/s41562-016-0021 [Publication scientifique]

[13] Kathawalla U.-K., et al., Easing Into Open Science : A Guide for Graduate Students and Their Advisors. Collabra: Psychology, 2021. DOI : 10.1525/collabra.18684 [Publication scientifique]

[14] UNESCO Recommendation on Open Science [Site, en anglais]

[15] Sensation de déjà-vu : voici ce qu’en dit la science. The Conversation, 2023 [Site]

[16] Cleary A., et al., Familiarity from the configuration of objects in 3-dimensional space and its relation to déjà vu: A virtual reality investigation. Consciousness and Cognition, 2012. DOI : 10.1016/j.concog.2011.12.010 [Publication scientifique]


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