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Écriture : Alain Li
Relecture scientifique : Augustin Péneau, Jeremy Dawkins et Pauline Colinet
Relecture de forme : Audrey Denizot et Eléonore Pérès
Temps de lecture : environ 5 minutes.
Thématiques : Électrochimie (Chimie)
Publication originale : Chang Q., et al., Promoting H2O2 production via 2-electron oxygen reduction by coordinating partially oxidized Pd with defect carbon. Nature Communications, 2020. DOI : 10.1038/s41467-020-15843-3
L’eau oxygénée (ou peroxyde d’hydrogène) est un produit très utile pour ses propriétés antibactériennes et nettoyantes. Il entre dans la conception des gels hydroalcooliques recommandée par l’OMS, particulièrement utiles en temps de pandémie. C’est un produit explosif, ce qui rend sa production, son stockage et son transport dangereux. Le papier présenté ici propose d’en fabriquer par injection d’un courant électrique dans de l’eau, pour générer le peroxyde de manière contrôlée.
Ce papier-mâché a été rédigé en septembre 2020, après la fin de la première vague d’épidémie de la COVID-19, et pendant que la deuxième vague fait son apparition en Europe. Parmi les mesures préventives pour contrer la contagion, le gel hydroalcoolique a connu un essor considérable, car recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour se désinfecter les mains [1]. En effet, il peut remplacer temporairement le lavage de mains au savon, si ce dernier n’est pas disponible dans les environs immédiats.
Le peroxyde d’hydrogène (H2O2, ou eau oxygénée sous sa forme diluée dans l’eau) est un des composants présents dans les gels hydroalcooliques. Attention toutefois, il n’est pas directement actif contre le virus (c’est le rôle de l’éthanol), ni ne donne au gel sa consistance (c’est le rôle du glycérol). Sa fonction est d’éliminer les potentielles spores bactériennes présentes dans les autres produits du mélange. Ces spores bactériennes, qui peuvent entraîner des infections graves, ne sont pas détruites par des désinfectants comme l’éthanol. L’ajout de H2O2 est donc essentiel.
La boum
Dans l’industrie chimique, H2O2 est produit en combinant du dihydrogène (H2) et du dioxygène (O2), un mélange explosif de gaz. Pire encore, le peroxyde d’hydrogène lui-même est explosif si on le chauffe trop, ou si on l’expose trop longtemps au soleil ! Il faut donc prévoir des usines et des lieux de stockage avec des dispositifs renforcés, que l’on ne peut pas installer partout.
Malgré les précautions prises par les industriels, les accidents sont relativement fréquents. L’un des plus récents date de cet été (août 2020), aux États-Unis dans une usine de l’état du Minnesota, sans faire de blessé [2]. À Londres en 2005, un camion transportant du H2O2 a explosé sans faire de blessés graves [3]. Le cas le plus tragique reste le sous-marin russe Kursk, qui sombra en août 2000, emportant 118 hommes à bord. Une torpille avait explosé à cause d’une fuite de H2O2, utilisé à l’époque pour propulser les projectiles sous-marins. Ainsi, que ce soit la production, le transport ou l’utilisation de H2O2, rien ne va ! [*] Heureusement, il n’est pas toujours nécessaire d’utiliser du H2O2 fortement concentré. Dans le cas des gels hydroalcooliques, on a besoin d’utiliser de l’eau oxygénée contenant à peine 3 % de peroxyde d’hydrogène. Il serait ainsi plus pratique de pouvoir générer juste ce dont on a besoin sur le lieu d’utilisation, sans jamais en accumuler de grandes quantités, afin d’éviter les accidents.
Un éclair de génie
Ici, les auteurs de la publication scientifique (Chang et ses collègues) proposent un procédé alternatif sans dihydrogène. Contrairement au procédé actuel qui utilise de la chaleur comme source d’énergie pour la fabrication du H2O2, ils ont opté pour une méthode appelée électrolyse, qui fait appel à l’électricité comme source d’énergie. Le dihydrogène (H2) est remplacé par des protons (H+) venant de l’eau (H2O) ainsi que des électrons (e–) provenant du courant électrique. Ainsi, plus besoin de gaz inflammable !
Pour ce faire, les auteurs ont fabriqué un nouveau matériau, qui est précisément capable d’accélérer la formation de H2O2 sous l’effet d’un courant électrique dans l’eau. Appelé Pd-OCNT (Palladium attaché par l’Oxygène sur des NanoTubes de Carbone (Carbon NanoTube en anglais), il est composé de très petits tubes de carbone d’environ 10-20 nm de diamètre (soit le millionième de l’épaisseur d’un ongle). À la surface du carbone se trouvent des atomes d’oxygène (représentés en rouge dans la Figure 3), sur lesquels sont ancrés des petits agglomérats de palladium (= un élément chimique, comme le sont l’hydrogène et l’oxygène), composés de 3 atomes chacun (les boules en gris dans la Figure 3). Une fois le courant électrique injecté dans l’eau, il passe par les nanotubes de carbones, puis est relayé par les atomes d’oxygène pour arriver au palladium. Cet élément joue le rôle d’un catalyseur, c’est-à-dire qu’il facilite la formation du H2O2 en aidant le dioxygène (O2) à former les liaisons avec les protons (H+) en leur fournissant des électrons (e–). Cet assemblage est donc capable d’effectuer de manière efficace la réaction décrite dans la Figure 2 plus haut. C’est magnifique, c’est un formidable travail de relais !
Dans leur étude, les chercheurs ont réussi à générer de l’eau oxygénée concentrée à 10 %, parfaitement utilisable pour faire du gel hydroalcoolique. Pour donner un ordre de grandeur, avec un gramme de Pd-OCNT, on pourrait former 60 grammes de H2O2 par heure, avec un peu de courant et de l’eau. Cette quantité est suffisante pour fabriquer 48 L de gel hydroalcoolique. Un bon début, non ?
Cet exemple expérimental est loin d’être le premier à s’attaquer à la préparation de H2O2 par électrolyse et ne sera sûrement pas le dernier. L’intérêt de cette approche permet une préparation locale de l’eau oxygénée, et de se passer d’infrastructures complexes pour le transport et le stockage à grande échelle. Si un tel dispositif était commercialisé sous forme portable, ce serait un outil formidable dans notre lutte contre la pandémie et d’éventuelles épidémies futures, en rendant le gel hydroalcoolique plus accessible pour tous.
[*] Les deux autres composants du gel hydroalcoolique, l’éthanol et le glycérol, sont loins d’être aussi dangereux que le peroxyde d’hydrogène car ils ne sont pas explosifs.
[1] Guide de Production locale : Formulations des Produits hydro-alcooliques recommandés par l’OMS (pdf), 2020.
[2] Article du journal The Daily Record (en anglais) présentant l’explosion de l’usine, 2020.
[3] Article du journal BBC News (en anglais) détaillant l’explosion du camion, 2005.
Écriture : Alain Li
Relecture scientifique : Augustin Péneau, Jeremy Dawkins et Pauline Colinet
Relecture de forme : Audrey Denizot et Eléonore Pérès
Temps de lecture : environ 8 minutes.
Thématiques : Électrochimie (Chimie)
Publication originale : Chang Q., et al., Promoting H2O2 production via 2-electron oxygen reduction by coordinating partially oxidized Pd with defect carbon. Nature Communications, 2020. DOI : 10.1038/s41467-020-15843-3
L’eau oxygénée (ou peroxyde d’hydrogène) est un produit très utile pour ses propriétés antibactériennes et nettoyantes. Il entre dans la conception des gels hydroalcooliques recommandée par l’OMS, particulièrement utiles en temps de pandémie. C’est un produit explosif, ce qui rend sa production, son stockage et son transport dangereux. Le papier présenté ici propose d’en fabriquer par injection d’un courant électrique dans de l’eau, pour générer le peroxyde de manière contrôlée.
Le peroxyde d’hydrogène (ou eau oxygénée sous sa forme diluée dans l’eau) est un produit chimique qui nous aide dans notre vie de tous les jours. Du fait de ses propriétés oxydantes, il peut dégrader des composés organiques. Il est donc capable de détruire microbes, virus, mais aussi des colorants tels que la mélanine. C’est pourquoi on l’utilise en tant que stérilisant (dans les hôpitaux et le traitement des eaux usées) ainsi que pour blanchir la pâte de bois, les cheveux et les dents. Bien que la moitié du volume mondial produit soit utilisée dans l’industrie du papier, il ne faut pas négliger ses applications sanitaires. En cette période de pandémie mondiale, c’est un composant essentiel des gels hydroalcooliques recommandés par l’Organisation Mondiale de la Santé, dans sa version diluée à 3 % dans l’eau [1].
Le peroxyde d’hydrogène est produit en grande partie par le procédé développé par l’entreprise BASF et basé sur l’anthraquinone, une molécule qui catalyse la formation de H2O2 à partir de dihydrogène et de dioxygène (H2 et O2, voir la Figure 1) [2]. Bien qu’applicable à grande échelle (4,3 millions de tonnes produites en 2015), il nécessite l’utilisation d’un gaz inflammable (H2) et d’un gaz comburant (O2). Cela nous fait donc deux éléments sur trois pour déclencher un départ de feu, car il suffirait d’une étincelle pour que tout prenne feu ! Ce procédé est donc dangereux de par la nature des gaz utilisés, mais aussi problématique d’un point de vue écologique car le H2 utilisé en industrie est extrait d’hydrocarbures fossiles.
Le H2O2 concentré a lui-même la fâcheuse tendance à exploser en présence de traces de métaux (tels que le fer ou le cuivre), s’il est chauffé ou quand il est exposé aux rayons ultraviolets, en libérant du dioxygène (O2) et de l’eau (H2O) (Figure 2). Pour donner un ordre de grandeur, le dioxygène occupe un volume environ 500 fois plus grand que le peroxyde d’hydrogène à 20 °C.
La production et le transport de H2O2 ne sont donc pas sans problème et nécessitent des infrastructures spécialisées, surtout dans les pays chauds. Les accidents sont relativement fréquents, puisqu’il est souvent plus rentable de laisser le produit sous sa forme concentrée et ensuite de le transporter plutôt que de le diluer pour le transport et de le reconcentrer à l’arrivée. L’un des plus récents accidents date de 2005 à Londres (un camion a explosé, sans faire de blessés graves) [3], mais le cas le plus tragique reste le sous-marin russe Kursk, qui sombra en août 2000, emportant 118 hommes à bord. Une torpille avait explosé à cause d’une fuite de H2O2 utilisé à l’époque pour propulser les projectiles sous-marins.
Pourtant, il n’est pas toujours nécessaire d’utiliser du H2O2 fortement concentré. Il serait donc plus pratique de pouvoir en générer sur place sans jamais en accumuler de grandes quantités, afin d’éviter les accidents. Ici, les auteurs de la publication (Chang et ses collègues) proposent un nouveau catalyseur pour produire le peroxyde d’hydrogène par électrolyse de l’eau. Le mot électrolyse pourrait vous faire penser à la formation de H2 et de O2 à partir de H2O, qui est un procédé appelé craquage de l’eau. Mais ici, le catalyseur induit une réaction toute autre et génère du H2O2 en combinant cette fois O2 avec 2 protons (H+) et 2 électrons (e–) (Figure 3).
Attention toutefois, car si on injecte trop rapidement à O2 des paires de H+/e–, on détruit le H2O2 et on génère… H2O. Mouais, pas très utile pour nous. Il s’agit alors de trouver des catalyseurs sélectifs, c’est-à-dire capables de coupler chaque molécule de O2 à 2 H+/e– et rien de plus ! Deux ans avant la sortie de ce papier, un autre groupe de recherche a fabriqué un matériau précisément capable de ces exploits [4]. En chauffant des nanotubes de carbone dans de l’acide nitrique à 140 °C, ils ont réussi à créer des trous dans la paroi du carbone, tout en insérant des atomes d’oxygène sur la surface (Figure 4).
Ces nanotubes oxydés (OCNT) sont d’ores et déjà capables de générer du H2O2 en électrolyse, avec une sélectivité à plus de 90 % : pour chaque 9 molécules de H2O2 générées, seule une molécule non désirée de H2O est produite. Cela signifie qu’une grande partie de l’électricité impliquée dans le processus est effectivement utilisée à bon escient ! Les parois de carbone conduisent l’électricité et les oxygènes attachés à la surface effectuent le transfert de 2 H+/e– vers O2.
Chang et ses collègues ont amélioré cette découverte, pour rendre le procédé encore plus sélectif. En trempant les OCNT dans des solutions contenant du Palladium, ils arrivent à ancrer 1 % de très petits agglomérats d’environ 3 atomes de Palladium (mesurant environ 0,6 nm, soit le millionième de l’épaisseur d’un cheveu !), fixés à la paroi par des liaisons/interactions avec l’oxygène (Pd-OCNT). L’ajout de ces petits clusters de Palladium permet d’augmenter la sélectivité de l’électrolyse à plus de 98 %, ce qui constitue un des meilleurs résultats jamais reportés au moment de la publication de l’article. En effet, ce métal a la capacité de catalyser la formation des liaisons H-O, qui sont présentes dans le produit final. D’autres catalyseurs dans la littérature ont des performances similaires, tels que des composites Mercure-Palladium, mais qui sont très toxiques pour l’environnement [5].
Jusqu’ici, les tests ont été conduits sur une très petite échelle (environ 10 microgrammes de catalyseur, soit le poids de 3 grains de sable), permettant aux chercheurs d’obtenir des résultats rapidement sans dépenser trop de moyens et de temps à fabriquer le catalyseur. Leur étape suivante fut donc logiquement de tester Pd-OCNT à plus grande échelle. Pour cela, ils ont utilisé un montage dit H-Cell, inspiré des piles à combustible (la lettre H vient de la forme du montage). D’habitude, les piles à combustible servent à générer du courant en consommant des produits chimiques (tels que H2). Ici, on va inverser le processus en fabriquant un produit chimique (H2O2) par injection de courant grâce à un générateur électrique.
En Figure 5a, vous pouvez voir le rôle de chaque morceau du vrai montage montré en Figure 5b. Il est séparé en deux cuves, où se passent deux réactions distinctes. Elles sont connectées à la fois par un circuit électrique et par une membrane faite en un plastique appelé Nafion. Celui-ci a la propriété particulière de laisser passer les charges positives (H+) sans laisser passer les charges négatives (e–). Le générateur de courant force alors le flot d’électrons à passer par des éléments conducteurs d’électricité appelés anode et cathode, qui sont respectivement faits en carbone et en Pd-OCNT.
Le montage fabriqué par les auteurs de l’article est également efficace énergétiquement et fonctionne à des tensions faibles (0,1 V) pour une densité de courant élevée (10 mA·cm-2). Si le courant électrique était un cours d’eau induit par une turbine (ou générateur), cela équivaudrait à dire que le débit est fort malgré une différence de hauteur faible entre la source et l’embouchure. Et le barrage hydraulique que représenterait le catalyseur Pd-OCNT ralentirait à peine le cours d’eau !
Dans la partie contenant l’anode à gauche, l’eau présente perd des électrons et se décompose en O2 et ions H+. Cette partie du montage n’est pas spécifique au travail de Chang et de ses collègues, et n’importe quelle source de H+/e– ferait l’affaire (mais on aime bien utiliser H2O car c’est abondant et non polluant !).
Dans la partie contenant la cathode, les électrons sont réinjectés avec des molécules de O2 et des ions H+ pour former du H2O2. On a là pratiquement la réaction inverse à celle d’avant. Pourquoi le produit formé est-il donc différent ? Ici, le générateur fixe la tension à 0,1 V entre les deux cuves, lui permettant de contrôler le courant qui circule. Le Palladium, sous ces conditions contrôlées, peut alors faire son travail et former spécifiquement du H2O2 en injectant 2 paires H+/e– à une molécule de O2.
Avec ce montage, les chercheurs ont réussi à générer une solution aqueuse de H2O2 concentrée à 10 % (ce qui est suffisant pour des applications médicales), à raison de 1 700 moles par kilogramme de catalyseur par heure. Pour donner un ordre de grandeur, avec un gramme de Pd-OCNT (contenant seulement 10 mg de Palladium), on pourrait former 60 grammes de H2O2 par heure, avec un peu de courant et de l’eau. Un bon début, non ?
Cette étude est loin d’être la première ou la seule qui s’attaque à la production de peroxyde d’hydrogène par électrolyse. C’est le catalyseur qui fait la nouveauté, car composé de petits clusters de Palladium accrochés à des nanotubes de carbone. L’étude montre que Pd-OCNT est performant non seulement en termes de productivité mais aussi de sélectivité, tout en évitant d’utiliser des métaux lourds comme le Mercure. Petit bémol, leur système perd 15 % d’efficacité au bout de 8 heures de fonctionnement, tout en gardant cependant une bonne sélectivité de H2O2. Un jour peut-être, on pourra utiliser des machines pouvant fabriquer sur place de l’eau oxygénée à partir d’eau, nous épargnant les tracas du transport et du stockage de ce produit explosif.
[1] Guide de Production locale : Formulations des Produits hydro-alcooliques recommandés par l’OMS (pdf), 2020.
[2] Yang S., et al., Toward the Decentralized Electrochemical Production of H2O2: A Focus on the Catalysis. ACS Catalysis, 2018. DOI : 10.1021/acscatal.8b00217. [Publication scientifique]
[3] Article du journal BBC News (en anglais) détaillant l’explosion du camion, 2005.
[4] Lu Z., et al., High-efficiency oxygen reduction to hydrogen peroxide catalysed by oxidized carbon materials. Nature Catalysis, 2018. DOI : 10.1038/s41929-017-0017-x. [Publication scientifique]
[5] Verdaguer-Casadevall A., et al., Trends in the Electrochemical Synthesis of H2O2: Enhancing Activity and Selectivity by Electrocatalytic Site Engineering. Nano Letters, 2014. DOI : 10.1021/nl500037x. [Publication scientifique]