Première détection d’ondes gravitationnelles et de rayons gamma provenant d’une fusion de deux étoiles à neutrons

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Écriture : Nicolas Dagoneau
Relecture scientifique :
Mathilde Gaudel et Bertrand Cordier
Relecture de forme :
Sylvain Le Grill et Pierre Marrec

Temps de lecture : environ 11 minutes.
Thématiques : Astronomie & Astrophysique (Physique)

Publication originale : Abbott B. P., et al., Gravitational Waves and Gamma-Rays from a Binary Neutron Star Merger: GW170817 and GRB 170817A, The Astrophysical Journal Letters, 2017. DOI : 10.3847/2041-8213/aa920c

L’astronomie s’est développée en observant la lumière venue des astres. Depuis 2015, les astrophysiciens ont reçu la preuve qu’il est possible de collecter des informations grâce aux ondes gravitationnelles qui font vibrer de manière infime l’espace. Le 17 août 2017, une explosion cosmique a été détectée simultanément grâce à ces ondes gravitationnelles et à de la lumière. Cette première double détection a permis de répondre à des questions jusqu’à présent ouvertes et notamment de prouver que les ondes gravitationnelles voyagent à la même vitesse que la lumière.

L’astronomie des multi-messagers

Depuis le début de l’histoire de l’astronomie, les phénomènes célestes sont étudiés grâce à la lumière qu’ils nous renvoient. C’est en étudiant cette lumière que les astronomes comprennent comment les planètes, les étoiles et les galaxies se forment, évoluent au fil du temps et disparaissent. Cette lumière peut prendre différents aspects, comme par exemple la lumière dite visible qui réunit les couleurs de l’arc-en-ciel et que nos yeux perçoivent, les ondes radio, les infrarouges, les rayons ultraviolets, les rayons X, etc. Ces différents aspects que prend la lumière forment ce que l’on appelle le spectre électromagnétique (Figure 1). La lumière est aussi une source d’énergie dont la valeur augmente en se déplaçant de la droite vers la gauche sur l’échelle de la Figure 1 : par exemple, les rayons gamma et les rayons X sont beaucoup plus énergétiques que les ondes radio.

Frise avec, de gauche à droite les rayons gamma, les rayons X, les ultra-violet, le visible, les infrarouges, les micro-ondes et les ondes radio. Dans le visible on voit l'ordre des différentes couleurs de l'arc-en-ciel, du violet à gauche vers le rouge à droite. Un axe des fréquences va de droite à gauche.
Figure 1. Spectre électromagnétique présentant les différents domaines composant la lumière en fonction de la fréquence (proportionnelle à l’énergie). Crédit : Mathilde Gaudel/Papier-Mâché.

Les étoiles brillent en brûlant du carburant sous forme de gaz. Lorsque que les étoiles ont consommé tout leur gaz, elles ne sont plus en mesure de supporter leur propre poids. Elles se contractent alors sur elles-mêmes et donnent naissance à de nouveaux astres comme des étoiles à neutrons. Ces étoiles à neutrons sont des astres tellement denses qu’une cuillère à café de la matière qui les compose pèserait des milliards de tonnes. Toutefois, leur composition interne n’est pas bien connue à l’heure actuelle. 

Beaucoup d’étoiles vivent en couple en tournant l’une autour de l’autre. À la fin de leur vie, elles peuvent produire un couple d’étoiles à neutrons. Ces couples continuent leur évolution et finissent par entrer en collision. Ces collisions s’accompagnent d’explosions cataclysmiques émettant de la lumière. Les astronomes étudient ces phénomènes lumineux particulièrement intenses pour en apprendre plus sur les étoiles à neutrons, notamment sur la matière qui les compose et sur la nature de l’astre produit à l’issue de la fusion des deux étoiles à neutrons. 

La lumière s’apparente au sens de la vue : elle est détectée avec des télescopes que l’on peut associer à des yeux. En plus de la lumière, il existe d’autres moyens d’étudier les fusions d’étoiles à neutrons. Une hypothèse formulée en 1992 [1] supposait que ces événements peuvent se manifester de façon analogue à un autre sens que la vue, l’ouïe, via ce qu’on appelle les ondes gravitationnelles.

La validation de cette hypothèse a été apportée grâce à un événement astrophysique survenu le 17 août 2017, qui a été observé pour la première fois avec de la lumière (la vue) sous la forme d’un sursaut gamma mais aussi avec des ondes gravitationnelles (l’ouïe). Dans le cas d’une observation mobilisant plusieurs sens, on parle alors d’astronomie multi-messager. Dans cet article, nous présenterons d’abord les sursauts gamma puis les ondes gravitationnelles.

Un phénomène particulier : le sursaut gamma

Dans le bestiaire des phénomènes cosmiques, il existe des événements extrêmes parmi les plus violents de l’Univers : il s’agit des sursauts gamma. Ils ont été découverts dans les années 1970 [2]. Ils se manifestent par deux phases pendant lesquelles ils produisent de la lumière. La première phase est un flash rapide (quelques secondes) de rayons gamma (Figure 1). L’énergie libérée pendant ces quelques secondes est équivalente à celle libérée par notre Soleil pendant toute sa vie, soit 10 milliards d’années. La deuxième phase dure de quelques minutes à quelques heures pendant laquelle d’autres formes de lumière sont émises, comme des rayons X, des rayons ultraviolets, de la lumière visible et des ondes radio. 

Les sursauts gamma sont détectés depuis l’espace par des satellites comme ceux de la Figure 2 car l’atmosphère terrestre bloque cette lumière qui ne peut pas atteindre des télescopes placés sur le sol. Les sursauts gamma se produisent n’importe où dans le ciel à un rythme d’environ un par jour. Afin d’en détecter le plus possible, les satellites sont munis de télescopes à grand champ de vue qui scrutent le ciel presque en permanence en couvrant la plus grande zone du ciel possible.

Figure 2. À gauche : modèle de vol du satellite Fermi. À droite : modèle de test du satellite INTEGRAL. Crédits : à gauche NASA/Kim Shiflett ; à droite © ESA – Anneke Le Floc’h avec l’aimable autorisation de l’ESA.

Le sursaut gamma du 17 août 2017

Le 17 août 2017, un sursaut gamma appelé sursaut GRB 170817A [*] a été détecté par les satellites spatiaux Fermi (NASA) et INTEGRAL (ESA) (Figure 2). Les données du satellite Fermi permettent de situer la source du sursaut dans une grande zone du ciel, équivalent à environ 5 000 fois la pleine Lune (en violet sur la Figure 3). Le sursaut est caractérisé par un flash de lumière gamma d’environ 0,5 secondes. Comme pour les autres sursauts avec une durée similaire, le sursaut GRB 170817A pourrait résulter de la fusion de deux étoiles à neutrons. Toutefois, pour confirmer ce scénario, il faudrait déterminer la masse des deux astres ayant fusionné. Cette information ne peut pas être obtenue en observant seulement la lumière émise par le sursaut gamma, mais pourrait l’être en détectant des ondes gravitationnelles qui y seraient associées.

Ovale contenant une tâche rouge qui contient elle-même une tâche verte.
Figure 3. Carte du ciel situant la zone dans laquelle la source de l’onde gravitationnelle se trouve avec une probabilité de 90 %. Cette carte est comme un planisphère terrestre où la position d’un point dans le ciel est repérée avec sa longitude et sa latitude, à la manière des coordonnées GPS sur Terre. En gris : zone déduite à partir du sursaut gamma détecté par INTEGRAL et Fermi. En violet : zone déduite à partir des données récoltées par Fermi seulement. En vert : zone déduite à partir de la détection de l’onde gravitationnelle par les détecteurs LIGO et Virgo. Dans le zoom en blanc : l’étoile orange marque la position réelle de la source. Crédit : tirée de la publication originale/CC BY 3.0.

Les ondes gravitationnelles

L’existence des ondes gravitationnelles a été prédite par Albert Einstein dès 1916 [3] et elles ont été détectées pour la première fois en 2015. Ces ondes sont causées par un couple d’astres très compacts (comme des étoiles à neutrons) en rotation l’un autour de l’autre (Figure 4) et sont similaires à celles qui sont produites en tournant sur soi-même dans l’eau les bras écartés.

Figure 4. Vue d’artiste des ondes gravitationnelles produites par un couple d’étoiles à neutrons en rotation sur le point de fusionner. Crédit : © R. Hurt/Caltech-JPL, Courtesy NASA/JPL-Caltech.

Les ondes sont comme des vibrations de l’espace. Plus les astres tournant l’un autour de l’autre se rapprochent l’un de l’autre, plus les vibrations sont fortes, jusqu’à atteindre un maximum quand les deux astres fusionnent. Ces ondes voyagent ensuite dans l’espace jusqu’à la Terre. Einstein avait prédit que ces ondes se propageraient à la même vitesse que la lumière (300 000 km/s dans le vide). 

Les vibrations de l’espace causées par les ondes gravitationnelles que l’on peut aujourd’hui détecter sur Terre engendrent d’infimes variations de distances, équivalentes à ajouter puis retirer une bille de 1 cm sur la distance qui nous sépare de la Galaxie d’Andromède (soit 2,5 millions années-lumière !). 

Ces variations de distance sont détectées par des instruments situés sur Terre aux États-Unis et en Italie. En ce début d’année 2021, des dizaines de passages d’ondes gravitationnelles ont été ainsi détectés. Pour cela, on utilise des lasers semblables aux télémètres utilisés sur les chantiers. Ces lasers sont placés dans des tubes de plusieurs kilomètres de long (Figure 5). En temps normal, la lumière parcourt la longueur du tube en un temps donné. Lors du passage d’une onde gravitationnelle, l’espace se contracte (de manière infime), donc la longueur du tube diminue momentanément. La lumière mettra alors moins de temps à faire le trajet. En mesurant le temps de parcours de la lumière à chaque instant, on peut alors détecter le passage de l’onde gravitationnelle. Afin de localiser dans le ciel la zone de provenance de l’onde gravitationnelle, on utilise deux lasers dans des tubes qui forment un angle droit. De plus, en disposant plusieurs détecteurs sur Terre, il est possible de couvrir une plus grande zone du ciel, de détecter plus de passages et d’améliorer la localisation de la source du phénomène dans le ciel.

Figure 5. Photographies aériennes de détecteurs d’ondes gravitationnelles. À gauche : détecteur LIGO de Livingstone en Louisiane ; en haut, détecteur LIGO de Hanford dans l’État de Washington ; en bas, détecteur Virgo près de Pise en Italie. Les longueurs des tubes sont de 4 km pour les détecteurs LIGO et de 3 km pour le détecteur Virgo. Crédits LIGO : © Courtesy Caltech/MIT/LIGO Laboratory gauche et centre ; crédit VIGO : The Virgo collaboration/CCO 1.0

Les ondes gravitationnelles se produisant n’importe quand, les détecteurs sont actifs en permanence pour en détecter le plus possible.

L’onde gravitationnelle du 17 août 2017 

Le 17 août 2017, une onde gravitationnelle a été détectée. Elle est appelée GW170817 [**]. En comparant la mesure de la variation de longueur des tubes des détecteurs avec des modèles théoriques, les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu’une étoile à neutron de la masse du Soleil avait fusionné avec une autre étoile à neutrons faisant environ deux fois la masse du Soleil. La comparaison a aussi permis de situer cette fusion à environ 130 millions d’années-lumière de la Terre, soit environ un peu plus de mille milliards de km. À ce jour, il s’agit de la source d’onde gravitationnelle la plus proche de la Terre.

Si on convertit cette onde gravitationnelle en signal audible pour l’écouter, on obtient ceci :

Crédit : Gravitational Wave Open Science Center

Le son entendu est appelé le « gazouilli » pour sa ressemblance avec le bruit des oiseaux. On remarque que plus le temps passe, plus le son est fort et aigu. C’est dû au fait que plus le temps passe, plus les étoiles se rapprochent, et donc plus les vibrations sont importantes et plus l’onde gravitationnelle émise est forte.
Pour identifier la région d’origine de l’émission dans le ciel, les détections des deux détecteurs LIGO permettent de restreindre la zone d’origine du phénomène à une région dans le ciel grande comme 1 000 fois la pleine Lune. Le détecteur d’ondes gravitationnelles Virgo, en Italie, n’a pas détecté cette onde gravitationnelle car son origine est dans une zone du ciel non visible depuis cette région du globe. Cette « non-détection » permet toutefois de restreindre la taille de la région du ciel dans laquelle se trouve l’origine du phénomène à 155 fois la pleine Lune (zone verte sur la Figure 3).

Association entre le sursaut gamma et l’onde gravitationnelle.

Ainsi, le 17 août 2017 a vu la détection de deux phénomènes : un sursaut gamma et une onde gravitationnelle. Le sursaut gamma GRB 170817A a été détecté par un des instruments à bord du satellite Fermi (NASA) environ 2 secondes après que l’onde gravitationnelle GW170817 a atteint son maximum (le moment où le son est le plus fort dans la traduction audio). C’est la première fois qu’une détection en lumière et une détection en onde gravitationnelle semblent coïncider. 

Une des questions à laquelle tentent de répondre les auteurs de la publication est la suivante : le sursaut gamma est-il vraiment associé à l’onde gravitationnelle ? Autrement dit, quelle est la probabilité que le sursaut gamma et l’onde gravitationnelle soient deux événements totalement différents qui se sont produits par hasard au même endroit dans le ciel et au même moment ? Pour cela, les auteurs supposent que le sursaut gamma et que l’onde gravitationnelle sont deux événements différents et calculent la probabilité que deux événements indépendants de ce type se produisent au même endroit dans le ciel et très proche dans le temps. Le résultat est de 1 chance sur 20 000 000, soit une chance très faible (presque autant que de gagner le gros lot au loto…). Avec une probabilité si faible, l’hypothèse selon laquelle ces deux événements proviennent de deux sources différentes peut être rejetée. Finalement, les auteurs concluent qu’il est très probable que le sursaut gamma et l’onde gravitationnelle soient associés au même événement astrophysique : une fusion de deux étoiles à neutrons.

Puisque ces deux phénomènes sont causés par le même événement et que les masses des astres ayant produits l’onde gravitationnelles permettent de dire qu’il s’agit de deux étoiles à neutrons, c’est bien la preuve que les sursauts gamma qui présentent un flash très bref d’environ 0,5 secondes peuvent être la conséquence de la fusion de deux étoiles à neutrons. Ce résultat est rendu possible par le fait que la détection des ondes gravitationnelles permet de déterminer la masse de deux astres, ce qui est impossible à connaître en détectant seulement la lumière d’un sursaut gamma. Les deux sens (la vue et l’ouïe) sont complémentaires. 

La vitesse des ondes gravitationnelles

La double détection d’ondes gravitationnelles et de lumière issues d’un même événement permet également d’obtenir des informations sur la vitesse des ondes gravitationnelles. La théorie formulée par Einstein prédit que ces ondes ainsi que la lumière se propagent dans le vide de l’espace à la même vitesse maximale (300 000 km/s). Or, le sursaut gamma est arrivé au niveau de la Terre environ 2 secondes après que l’onde gravitationnelle a atteint son maximum au moment de la fusion des deux étoiles à neutrons. Le retard de la lumière à l’arrivée peut être expliqué par le fait que le sursaut gamma ne démarre pas instantanément au moment de la fusion des étoiles à neutrons, mais plutôt avec un retard. Un peu comme pour un feu d’artifice, la fusion des étoiles à neutrons correspond au moment où la mèche est allumée, l’explosion se produisant quelques instants plus tard. Ce scénario est compatible avec une vitesse identique pour les deux messagers, ce qui ne remet pas en cause la théorie d’Einstein. Il faudra attendre de détecter d’autres couples lumière-onde gravitationnelle pour la confirmer. 

Conclusion

La détection d’une onde gravitationnelle coïncidant à celle d’un sursaut gamma en provenance de la même source du ciel a été une première. Cette détection a notamment apporté la preuve que les sursauts gamma courts peuvent résulter de la fusion de deux étoiles à neutrons et que les ondes gravitationnelles voyagent à la même vitesse maximale que la lumière. 

Les astrophysiciens comptent sur de futures détections d’événements multi-messagers avec la lumière et les ondes gravitationnelles pour améliorer la compréhension de ces phénomènes.

Lors du phénomène du 17 août 2017, une explosion de lumière visible a également été observée dans le ciel après le sursaut gamma. Cette explosion a mis en évidence la présence d’éléments chimiques lourds, comme le platine. Ainsi, les fusions d’étoiles à neutrons pourraient permettre la formation de ces éléments qui seraient ensuite disséminés dans l’Univers.


[*] Le préfixe GRB vient de l’anglais Gamma Ray Burst pour « sursaut gamma ».

[**] Le préfixe GW vient de l’anglais Gravitational Wave pour « onde gravitationnelle ».


[1] Narayan R., et al., Gamma-Ray Bursts as the Death Throes of Massive Binary Stars. Astrophysical Journal Letters, 1992. DOI : 10.1086/186493. [Publication scientifique]

[2] Klebesadel R.W., et al., Observations of Gamma-Ray Bursts of Cosmic Origin. Astrophysical Journal, 1973. DOI : 10.1086/181225. [Publication scientifique]

[3] Einstein A., Näherungsweise Integration der Feldgleichungen der Gravitation. Sitzungsberichte der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften (Berlin), 1916. [Publication scientifique]


Écriture : Nicolas Dagoneau
Relecture scientifique :
Mathilde Gaudel et Bertrand Cordier
Relecture de forme :
Sylvain Le Grill et Pierre Marrec

Temps de lecture : environ 19 minutes.
Thématiques : Astronomie & Astrophysique (Physique)

Publication originale : Abbott B. P., et al., Gravitational Waves and Gamma-Rays from a Binary Neutron Star Merger: GW170817 and GRB 170817A, The Astrophysical Journal Letters, 2017. DOI : 10.3847/2041-8213/aa920c

L’astronomie s’est développée en observant la lumière venue des astres. Depuis 2015, les astrophysiciens ont reçu la preuve qu’il est possible de collecter des informations grâce aux ondes gravitationnelles qui font vibrer de manière infime l’espace. Le 17 août 2017, une explosion cosmique a été détectée simultanément grâce à ces ondes gravitationnelles et à de la lumière. Cette première double détection a permis de répondre à des questions jusqu’à présent ouvertes et notamment de prouver que les ondes gravitationnelles voyagent à la même vitesse que la lumière.

Phénomènes cosmiques de haute énergie et fin de vie des étoiles

L’astrophysique des hautes énergies est une branche de l’astrophysique qui s’intéresse aux phénomènes cosmiques libérant une quantité d’énergie considérable, comme par exemple les explosions cataclysmiques qui se produisent à la fin de la vie des étoiles. Lorsque les étoiles meurent, elles ne disparaissent pas tout à fait. Il existe plusieurs scénarios pouvant se produire à la fin de leur vie et qui peuvent conduire à la formation d’astres très compacts comme des étoiles à neutrons ou des trous noirs

Une étoile est caractérisée par un équilibre entre deux forces : d’une part la gravitation qui tend à contracter l’étoile sur elle-même, et d’autre part la pression de radiation créée par les réactions de fusion au cœur de l’étoile. Ces réactions transforment l’hydrogène, qui sert de carburant à l’étoile, en éléments plus lourds jusqu’au fer. Une étoile à neutrons se forme à la fin de la vie d’une étoile de plus de 8 masses solaires, lorsque celle-ci a consommé tout son carburant. À ce moment-là, l’équilibre entre la gravitation et la pression de radiation est rompu et l’étoile s’effondre sur elle-même sous son propre poids. Sous l’effet de l’effondrement, la pression au sein du cœur est telle que les atomes de fer sont fortement compactés et chauffés au point que des neutrons se forment. Le cœur de neutrons est très compact et la force de répulsion entre eux permet de stopper l’effondrement et de compenser de nouveau la gravité dans un nouvel équilibre. Pendant la formation du cœur de neutrons, les couches extérieures de l’étoile s’effondrent sur le cœur et rebondissent dessus en produisant une explosion que l’on appelle une supernova. L’étoile à neutron est donc le cœur de neutrons résiduel. Il s’agit d’un objet très compact de masse généralement comprise entre 1,4 et 2,1 masses solaires et de diamètre compris entre 20 et 40 km. 

Lors de l’effondrement, si le cœur a une masse supérieure à environ 3 masses solaires, alors les neutrons ne suffisent plus à créer un nouvel équilibre et l’étoile continue de se contracter sur elle-même indéfiniment en donnant naissance à un trou noir.

Par ailleurs, beaucoup d’étoiles vivent en couple en tournant l’une autour de l’autre dans ce que l’on appelle des systèmes binaires. Dans le cas où les deux étoiles du couple ont des masses similaires, à la fin de leur vie, elles peuvent produire un couple d’étoiles à neutrons. Ces couples continuent leur évolution et peuvent entrer en collision. Ces phénomènes de collisions sont qualifiés de « haute énergie » car ils produisent de la lumière très énergétique comme des rayons X ou des rayons gamma. Ces rayonnements sont situés à l’extrémité du spectre des ondes électromagnétiques (Figure 1), au-delà de la lumière dite visible, c’est-à-dire celle que nos yeux sont capables de percevoir.

Frise avec, de gauche à droite les rayons gamma, les rayons X, les ultra-violet, le visible, les infrarouges, les micro-ondes et les ondes radio. Dans le visible on voit l'ordre des différentes couleurs de l'arc-en-ciel, du violet à gauche vers le rouge à droite. Un axe des fréquences va de droite à gauche.
Figure 1. Spectre électromagnétique présentant les différents domaines en fonction de la fréquence, (proportionnelle à l’énergie) : rayons gamma, rayons X, ultraviolets, visible, infrarouges, micro-ondes, ondes radio. Crédit : Mathilde Gaudel/Papier-Mâché.

Plus précisément, une fusion d’étoile à neutrons s’accompagne de l’émission d’un flash bref et intense de lumière gamma appelé sursaut gamma mais aussi de l’émission d’une onde gravitationnelle. Ces deux phénomènes en provenance de la même source du ciel ont été détectés une seule fois jusqu’à aujourd’hui, le 17 août 2017. Cette double observation a permis d’apporter la preuve que certains types de sursauts gamma sont liés à la fusion de deux étoiles à neutrons mais aussi de prouver que les ondes gravitationnelles voyagent à la vitesse de la lumière.

Un phénomène particulier : le sursaut gamma

Dans le bestiaire des phénomènes cosmiques de haute énergie, il existe des événements extrêmes parmi les plus violents de l’Univers : il s’agit des sursauts gamma. Ils se produisent n’importe où dans le ciel à un rythme d’environ un par jour. Ils se manifestent par un flash rapide (quelques secondes) de rayons gamma (Figure 1), suivi d’un rayonnement dans d’autres domaines du spectre électromagnétique (rayons X, UV, visible et radio) et qui peut durer de quelques minutes à quelques heures. Ils ont été découverts dans les années 1970 [1]. En 1997, une collaboration de différentes équipes a montré que les sursauts gamma se produisent dans d’autres galaxies que la nôtre. Ces phénomènes sont extrêmes, dans la mesure où l’énergie libérée en lumière gamma en quelques secondes est équivalente à celle libérée par notre Soleil pendant toute sa vie, soit 10 milliards d’années. Les sursauts gamma sont détectés depuis l’espace par des satellites comme ceux de la Figure 2 car l’atmosphère terrestre est opaque à cette lumière qui ne peut pas atteindre des télescopes placés sur le sol. Afin de détecter le plus de sursauts gamma possibles, ces satellites sont munis de télescopes à grand champ de vue qui scrutent le ciel presque en permanence en couvrant la plus grande zone du ciel possible.

Figure 2. À gauche : modèle de vol du satellite Fermi. À droite : modèle de test du satellite INTEGRAL. Crédits : à gauche NASA/Kim Shiflett ; à droite © ESA – Anneke Le Floc’h avec l’aimable autorisation de l’ESA.

En 1993, des chercheurs ont mis en évidence l’existence de deux familles distinctes de sursauts gamma : les sursauts courts qui durent moins de 2 secondes et les sursauts dits longs qui durent plus de 2 secondes (mais qui restent cependant des phénomènes très brefs).

Les sursauts gamma qui se produisent lors de la mort des étoiles très massives (30 fois la masse du Soleil ou plus) produisent des sursauts longs. Il a fallu attendre 1998 [2] pour confirmer cette hypothèse de leur formation qui a pourtant été émise en 1993 [3]. Les sursauts courts quant-à-eux seraient engendrés par la fusion de deux étoiles à neutrons ou d’un trou noir et d’une étoile à neutrons. Cette hypothèse a été formulée dès 1992 [4] et a été confirmée grâce à l’événement survenu le 17 août 2017.

Le sursaut gamma du 17 août 2017

Le 17 août 2017, un sursaut gamma a été détecté par les satellites spatiaux Fermi (NASA) et INTEGRAL (ESA). Les signaux reçus par les instruments à bord de ces satellites sont représentés sur la Figure 3.

Graphiques montrant plein de petits pics et à un moment un pic plus important, au même moment pour tous les détecteurs.
Figure 3. Signaux enregistrés le 17 août 2017 par différents détecteurs. Les trois premiers panneaux sont des courbes de lumières, c’est-à-dire qu’ils donnent la quantité de lumière détectée en fonction du temps par l’instrument GBM sur le satellite spatial Fermi (en haut, lumière gamma de basse énergie et au milieu, lumière gamma de haute énergie) et par l’instrument SPI-ACS (en bas) à bord du satellite spatial INTEGRAL. Le panneau du bas donne le signal enregistré par les deux détecteurs LIGO (Hanford et Livingston) : il s’agit de la fréquence de l’onde gravitationnelle en fonction du temps. Crédit : tirée de la publication originale/CC BY 3.0.

Sur ces graphes, on distingue essentiellement un « pic » qui correspond à la lumière gamma émise lors du flash du sursaut. Ce pic est caractérisé par une durée d’environ 0,5 secondes, ce qui place le sursaut GRB 170817A [*] dans la catégorie des sursauts courts, et donc potentiellement résultant de la fusion de deux étoiles à neutrons. Les données du satellite Fermi permettent de situer la source du sursaut dans une zone du ciel de 1 100 deg² [**] (en violet sur la Figure 4).

Ovale contenant une tâche rouge qui contient elle-même une tâche verte.
Figure 4. Carte du ciel situant la zone dans laquelle la source de l’onde gravitationnelle se trouve avec une probabilité de 90 %. En gris : zone déduite à partir du sursaut gamma détecté par INTEGRAL et Fermi (triangularisation). En violet : zone déduite à partir des données récoltées par Fermi seulement. En vert : zone déduite à partir de la détection de l’onde gravitationnelle par les détecteurs LIGO et Virgo. Dans le zoom en blanc : l’étoile orange marque la position réelle de la source. Crédit : tirée de la publication originale/CC BY 3.0.

Les sursauts gamma étant des phénomènes détectés en nombre depuis plusieurs dizaines d’années, il existe des catalogues de sursauts. Il est donc possible de comparer les propriétés de GRB 170817A à celles des sursauts précédemment détectés. Notamment, en étudiant la luminosité de ce sursaut, il apparaît que GRB 170817A est très peu lumineux par rapport aux autres : 100 à 1 000 000 fois moins. Il est aussi environ 100 fois plus proche que les autres sursauts recensés en moyenne (Figure 5).

Courbe vertes de forme logarithmique, avec des points qui sont assez proches d'elle mais au-dessus à chaque fois.
Figure 5. Échantillon de sursaut gamma en fonction de leur distance (abscisse) et de leur luminosité (ordonnée). La courbe verte donne le seuil de détection de l’instrument GBM du satellite Fermi, c’est-à-dire la luminosité minimale que doit avoir un sursaut pour pouvoir être détecté à une certaine distance. Crédit : tirée de la publication originale/CC BY 3.0.

Une des explications qui pourrait expliquer la faible luminosité de GRB 170817A est que l’axe d’émission des rayons gamma n’est pas complètement aligné avec la Terre et que ce sursaut est vu de côté. 

Aussi, si GRB 170817A est si important en dépit de sa faible luminosité, c’est que sa détection est associée avec la détection d’un autre phénomène via un autre messager que la lumière : une onde gravitationnelle. 

Les ondes gravitationnelles

Depuis le début de l’histoire de l’astronomie et jusqu’au XXe siècle, le seul vecteur d’information en provenance du cosmos était la lumière. Ainsi, c’est en observant la lumière des astres que la plupart des découvertes ont été réalisées pour mieux comprendre les lois de l’Univers (observation des galaxies, détection d’exoplanètes, etc.). 

En 2015, les ondes gravitationnelles prédites par Albert Einstein dès 1916 [5] ont été détectées de manière directe pour la première fois. À l’inverse des ondes électromagnétiques qui sont la manifestation de la vibration du champ électromagnétique qui règne partout dans l’Univers, les ondes gravitationnelles sont la manifestation de la vibration de l’espace lui-même [***]. Les astres massifs déforment l’espace en y creusant un sillon, un peu comme une boule de pétanque sur une nappe tendue, mais il faut imaginer cela en 3D. Si deux corps massifs tournent l’un autour de l’autre, la rotation des deux sillons produit des ondes gravitationnelles qui se propagent dans l’Univers dans toutes les directions. En conséquence, l’énergie perdue par le système sous forme d’onde de gravitation entraîne un rapprochement des deux objets qui spiralent l’un autour de l’autre et finissent par entrer en collision avant de fusionner. Au fur et à mesure que les objets se rapprochent l’un de l’autre, la fréquence et l’amplitude de l’onde émise augmente.

L’onde gravitationnelle se propage dans toutes les directions depuis la zone d’émission. Il s’agit d’une onde transverse (comme les vagues à la surface de l’eau). Dans des plans perpendiculaires à sa direction de propagation, l’onde gravitationnelle déforme l’espace en le contractant dans un sens et en l’étirant dans l’autre alternativement comme illustré sur l’animation de la Figure 6.

Une dizaine de cercles les uns à côté des autres, qui forment comme un tunnel. Description en légende.
Figure 6. Illustration de l’effet d’une onde gravitationnelle qui se propage le long du tube. Les cercles perpendiculaires à la direction de propagation se contractent et se dilatent alternativement mais la distance entre chacun d’entre eux n’est pas modifiée par le passage de l’onde. Crédit : © ESA – C.Carreau avec l’aimable autorisation de l’ESA.

Les vibrations de l’espace causées par les ondes gravitationnelles que l’on peut aujourd’hui détecter sur Terre engendrent d’infimes variations de distance de l’ordre de 10-21. Cela revient à détecter une variation de distance de la taille d’un atome (10-10 m) par rapport à la distance entre la Terre et le Soleil (1011 m).

Ces ondes ont été détectées pour la première fois de manière directe en 2015 [6] par les deux détecteurs LIGO installés aux États-Unis. L’événement détecté le 14 septembre 2015 (noté GW150914 [****]) est la conséquence de la fusion de deux trous noirs dans une galaxie lointaine. En ce début d’année 2021, des dizaines d’événements ont été détectés grâce aux ondes gravitationnelles. 

Pour détecter ces infimes distorsions de l’espace, on utilise des instruments géants (Figure 7) essentiellement constitués de deux bras perpendiculaires de plusieurs kilomètres de long (3 km pour Virgo et 4 km pour LIGO) dans lesquels circule un faisceau laser. Or, la vitesse de la lumière n’est pas affectée par le passage d’une onde gravitationnelle, à l’inverse de l’espace dans lequel elle se propage et qui se contracte et s’étire très légèrement lors de son passage. Ainsi, lors du passage d’une onde gravitationnelle, la lumière aura l’impression de voyager dans un bras légèrement plus court ou légèrement plus long.

Figure 7. Photographies aériennes de détecteurs d’ondes gravitationnelles. À gauche : détecteur LIGO de Livingstone en Louisiane ; en haut, détecteur LIGO de Hanford dans l’État de Washington ; en bas, détecteur Virgo près de Pise en Italie. Crédits LIGO : © Courtesy Caltech/MIT/LIGO Laboratory gauche et centre ; crédit VIGO : The Virgo collaboration/CCO 1.0

La variation de longueur d’un bras, perçu par la lumière, est mesurée avec la méthode de l’interférométrie. Le principe est illustré sur la Figure 8 : le faisceau laser issu du point (A) est divisé au point (B) en deux « sous-faisceaux » d’intensité égale. Chaque sous-faisceau se propage dans un des bras, aller et retour, grâce à un miroir mobile placé au bout de chaque bras. De retour au point (B), les faisceaux sont recombinés et dirigés vers un capteur de lumière au point (C). En l’absence d’onde gravitationnelle, les miroirs mobiles sont positionnés de telle sorte que leur distance par rapport au point (B) soient très légèrement différentes. Dans cette configuration, lorsque les deux faisceaux se combinent, l’un est en retard sur l’autre. Les deux faisceaux s’annulent donc parfaitement entre eux et le capteur de lumière reste dans l’obscurité (Figure 8, à gauche). Lorsqu’une onde gravitationnelle traverse le détecteur, les miroirs mobiles se déplacent sous l’effet de la vibration de l’espace, ce qui a pour effet de raccourcir un des bras et d’allonger l’autre (Figure 8, à droite). Dans ce cas, les deux sous-faisceaux se recombinent sans s’annuler et le capteur de lumière est éclairé : une onde gravitationnelle est détectée. Le faisceau laser est essentiel pour mesurer les variations de longueurs des bras, on ne pourrait pas utiliser de mètre ruban par exemple, car ce dernier serait dilaté ou contracté en même temps que les bras lors du passage de l’onde.

Deux tubes perpendiculaires l'un de l'autre qui se croisent. À gauche les faisceaux ne sont pas superposés. À droite ils se superposent.
Figure 8. Combinaison des faisceaux lasers dans un interféromètre. À gauche, les deux faisceaux s’annulent. À droite, les deux faisceaux s’additionnent. Crédit : à partir d’une animation de © T. Pyle, Courtesy Caltech/MIT/LIGO Laboratory.

Pour obtenir le signal de l’onde gravitationnelle, les détecteurs ne s’intéressent pas au faisceau vu par le capteur de lumière mais aux miroirs mobiles eux-mêmes. En fait, il existe un mécanisme dans le détecteur qui assure que les miroirs restent immobiles [*****] même lors du passage d’une onde, quand le capteur de lumière est éclairé. Des algorithmes permettent ensuite de reconstruire la forme de l’onde à partir de l’effort à appliquer sur chaque miroir pour qu’il reste immobile. Une fois le signal enregistré, ce dernier est comparé aux modèles théoriques pour déduire quelles sont les caractéristiques du couple d’objets ayant produit l’onde gravitationnelle. Les informations obtenues sont notamment : la masse des deux objets, la masse après la fusion, la quantité d’énergie libérée sous forme d’onde gravitationnelle ainsi que la distance.

Les ondes gravitationnelles peuvent se produire n’importe quand, donc pour en détecter le plus possible, les détecteurs sont actifs en permanence (en dehors des périodes de maintenance ou de réglage [******]). De plus, un détecteur d’onde gravitationnelle est le plus sensible pour les ondes qui arrivent perpendiculairement au plan des deux bras (donc soit depuis le zénith, soit depuis le nadir en traversant la Terre, voir Figure 9). À l’inverse, un tel détecteur est beaucoup moins sensible aux ondes qui arrivent dans une direction du plan des deux bras. Ainsi, en disposant plusieurs détecteurs sur Terre, il est possible de couvrir une plus grande zone du ciel, et donc de détecter plus d’événements et d’en améliorer la précision de localisation. 

Figure 9. Illustration de la sensibilité du détecteur Virgo en fonction de la direction d’arrivée de l’onde gravitationnelle. La sensibilité est la meilleure pour les ondes arrivant perpendiculairement au plan des deux bras (zones en rouge sur la carte) et nulle dans des directions à 45 degrés de chaque bras (angle mort du détecteur en bleu sur la carte). Crédit : © avec l’aimable autorisation de Bruno Mazoyer / IJCLab / Nicola Baldocchi / EGO / The Virgo Collaboration.

L’onde gravitationnelle du 17 août 2017 

Le 17 août 2017, une onde gravitationnelle très particulière a été détectée. Le signal détecté par les deux détecteurs LIGO (Hanford et Livingston) sont donnés sur la Figure 3 (ligne du bas). Sur ce graphe, on peut observer une courbe croissante : la fréquence de l’onde gravitationnelle augmente à mesure que le temps s’écoule. D’ailleurs, la bande de fréquence dans laquelle les détecteurs actuels fonctionnent coïncide avec une partie de celle des ondes sonores audibles par nos oreilles (20 Hz à 20 000 Hz). Il est donc possible de transposer le signal de l’onde gravitationnelle (bien qu’en réalité le phénomène n’émette aucun son) pour l’écouter :

Crédit : Gravitational Wave Open Science Center

Le son entendu est appelé le « gazouilli » pour sa ressemblance avec le bruit des oiseaux.

L’analyse du signal enregistré le 17 août 2017 et sa comparaison avec des modèles théoriques donne les caractéristiques suivantes pour le couple d’astres ayant fusionnés : 

  • entre 1,36 et 2,26 masses solaires pour le premier astre ;
  • entre 0,86 et 1,36 masses solaires pour le second ;
  • distance entre ce couple d’astre et la Terre d’environ 130 millions d’années-lumière.

Les deux masses obtenues permettent de classer les deux astres dans la famille des étoiles à neutrons. De plus, étant donné la distance, il s’agit de la source d’onde gravitationnelle la plus proche détectée à ce jour. En ce qui concerne la direction d’arrivée de l’onde gravitationnelle dans le ciel, les détections des deux détecteurs LIGO permettent de restreindre, avec une probabilité de 90 %, la zone d’origine du phénomène à une région de 190 deg² dans le ciel [**]. Le détecteur d’ondes gravitationnelles Virgo, en Italie, n’a pas détecté cette onde gravitationnelle, en partie car sa direction était dans une zone où la sensibilité du détecteur Virgo est moins bonne (Figure 9). Cette « non-détection » a néanmoins permis de restreindre la source d’émission à une zone de 31 deg² du ciel (zone verte sur la Figure 4).

Association entre le sursaut gamma et l’onde gravitationnelle.

Ainsi, le 17 août 2017 a vu la détection de deux phénomènes : un sursaut gamma court et une onde gravitationnelle. Le sursaut gamma GRB 170817A a été détecté par un des instruments à bord du satellite Fermi (NASA) environ 2 secondes après la détection de l’onde gravitationnelle GW170817 par LIGO Hanford. C’est la première fois qu’une détection en lumière et une en onde gravitationnelle semblent coïncider. 

Une des questions à laquelle tentent de répondre les auteurs de la publication est la suivante : le sursaut gamma est-il vraiment associé à l’onde gravitationnelle ? Autrement dit, quelle est la probabilité que le sursaut gamma et l’onde gravitationnelle soient deux événements totalement différents qui se sont produits par hasard au même endroit dans le ciel et au même moment ? Pour cela, les auteurs supposent que le sursaut gamma et que l’onde gravitationnelle sont deux événements différents et procèdent en deux étapes. Premièrement, quelle est la chance que ces deux événements se soient produits en même temps en provenant de sources différentes ? Avec un calcul de probabilité prenant en compte le taux de détection de sursauts courts par Fermi (351 en 3 324 jours), la fraction de temps d’opération du satellite Fermi (en moyenne 20 h par jour) et le temps écoulé entre la détection du sursaut et de l’onde gravitationnelle (1,74 secondes), les auteurs déduisent que la probabilité que les deux événements se produisent en même temps est de 1 chance sur 200 000, ce qui est une très petite chance. Deuxièmement, les auteurs calculent la probabilité que ces deux événements indépendants se produisent dans une zone du ciel qui coïncide. Pour cela, ils utilisent les localisations fournies par Fermi et par LIGO (zones verte et violette sur la Figure 4) et obtiennent une probabilité de 1 chance sur 100. En multipliant les deux probabilités précédentes, on obtient une probabilité que deux événements indépendants de ce type se produisent au même endroit et en même temps de 1 chance sur 20 000 000, soit une chance très faible (presque autant que de gagner le gros lot au loto…). Avec une probabilité si faible, l’hypothèse selon laquelle ces deux événements proviennent de deux sources différentes peut être rejetée. Finalement, les auteurs concluent qu’il est très probable que le sursaut gamma et l’onde gravitationnelle soient associés au même événement astrophysique.

Puisque ces deux phénomènes sont causés par le même événement et que les masses de astres ayant générés l’onde gravitationnelles permettent de dire qu’il s’agit de deux étoiles à neutrons, c’est bien la preuve que les sursauts gamma courts peuvent être la conséquence de la fusion de deux étoiles à neutrons. Ce résultat est rendu possible par le fait que la détection des ondes gravitationnelles permet de déterminer la masse de deux astres, ce qui est impossible à connaître en détectant seulement la lumière d’un sursaut gamma. 

Implications pour la physique fondamentale et l’astrophysique

La double détection d’onde gravitationnelle et de lumière issue d’un même événement permet d’obtenir de nouvelles informations et de répondre à des questions de la physique fondamentale. Notamment, les auteurs s’intéressent à la vitesse des ondes gravitationnelles. Il y a 1,74 s de décalage entre la détection du sursaut gamma et celle de l’onde gravitationnelle. Pourtant, la théorie formulée par Einstein prédit que les ondes gravitationnelles et la lumière se propagent dans le vide à la même vitesse maximale (3 \times 10^8 m/s). Pour tester cette hypothèse, les auteurs supposent qu’il existe un petit écart de vitesse entre les ondes gravitationnelles et la lumière et ils examinent deux situations : celle où l’onde gravitationnelle est plus rapide que la lumière, puis l’inverse. Dans un premier temps, l’onde gravitationnelle est supposée plus rapide que la lumière (Figure 10, à gauche) et elle arrive sur Terre avec 1,74 secondes d’avance sur la lumière. Dans ce cas, les auteurs concluent que l’écart relatif entre les deux vitesses est inférieur à 7 \times 10^{-16}. Dans un second temps, ils supposent qu’il s’écoule 10 secondes entre la fusion des étoiles à neutrons et le début du sursaut gamma. Ainsi, l’onde gravitationnelle atteint son amplitude maximale 10 secondes avant la lumière. Dans ce cas, la lumière étant maintenant supposée se propager plus rapidement que l’onde gravitationnelle, elle « rattrape » alors son retard sur l’onde gravitationnelle mais pas suffisamment puisqu’elle arrive 1,74 secondes après l’onde gravitationnelle (Figure 10, à droite). Dans cette situation, ils calculent que l’écart relatif entre les deux vitesses est supérieur à -3 \times 10^{-15}. Au final, l’écart relatif \epsilon est tel que -3 \times 10^{-15} < \epsilon < 7 \times 10^{-16}

Description en légende.
Figure 10. Étude des vitesses de la lumière et des ondes gravitationnelles. À gauche, l’onde gravitationnelle est plus rapide que la lumière (la pente de la droite est plus forte) et arrive avec 1,74 s d’avance sur Terre par rapport à la lumière. À droite, la lumière est émise 10 s après l’onde gravitationnelle et se propage plus rapidement (sa pente est la plus forte) mais arrive quand même sur Terre avec un retard de 1,74 s.

Ainsi, les auteurs concluent que l’écart entre les vitesses de la lumière et des ondes gravitationnelles est très proche de 0 et donc que ces deux messagers se propagent dans le vide à la même vitesse maximale, ce qui est conforme à la théorie d’Einstein. Toutefois, ce résultat reste dépendant de l’hypothèse que les deux messagers sont émis en même temps, ou avec un retard faible de 10 secondes. Il faudra attendre de détecter d’autres couples lumière-onde gravitationnelle pour quantifier de manière statistique s’il existe un écart systématique à l’arrivée sur Terre entre le sursaut et l’onde gravitationnelle, et donc si les vitesses sont en fait différentes.

Conclusion

La détection d’une onde gravitationnelle coïncidant à celle d’un sursaut gamma en provenance de la même source du ciel a été une première. Cette détection a notamment apporté la preuve que les sursauts gamma courts peuvent résulter de la fusion de deux étoiles à neutrons et que les ondes gravitationnelles voyagent à la même vitesse maximale que la lumière. 

Les astrophysiciens comptent sur de futures détections d’événements multi-messagers avec la lumière et les ondes gravitationnelles pour améliorer la compréhension de ces phénomènes.

Lors du phénomène du 17 août 2017, une explosion de lumière a également été observée dans d’autres domaines de la lumière (ultra-violet, visible et infrarouge) après le sursaut gamma. Cette explosion a mis en évidence la présence d’éléments chimiques lourds, comme le platine. Ainsi les fusions d’étoiles à neutrons pourraient permettre la formation de ces éléments qui seraient ensuite disséminés dans l’Univers.


[*] Le préfixe GRB vient de l’anglais Gamma Ray Burst pour « sursaut gamma ».

[**] En comparaison, la taille apparente moyenne de la pleine Lune (ou du Soleil) vue depuis la Terre est de 0,2 deg² tandis que la constellation de la Grande Ourse couvre une zone de 1 280 deg².

[***] Il s’agit en fait une vibration de l’espace-temps décrit par la relativité générale d’Einstein. 

[****] Le préfixe GW vient de l’anglais Gravitational Wave pour « onde gravitationnelle ».

[*****] Un laser auxiliaire est utilisé pour déplacer les miroirs. Ce déplacement infime est rendu possible par la pression de radiation du laser, autrement dit, ce sont les photons qui poussent le miroir. Le même principe est employé par la propulsion utilisant des voiles solaires. Pour en savoir plus.

[******] Le statut en temps réel des détecteurs d’ondes gravitationnelles est consultable ici.


[1] Klebesadel R.W., et al., Observations of Gamma-Ray Bursts of Cosmic Origin. Astrophysical Journal, 1973. DOI : 10.1086/181225. [Publication scientifique]

[2] Woosley S. E., Gamma-Ray Bursts from Stellar Mass Accretion Disks around Black Holes. Astrophysical Journal, 1993. DOI : 10.1086/172359. [Publication scientifique]

[3] Galama T. J., et al., An unusual supernova in the error box of the γ-ray burst of 25 April 1998. Nature, 1998. DOI : 10.1038/27150. [Publication scientifique]

[4] Narayan R., et al., Gamma-Ray Bursts as the Death Throes of Massive Binary Stars. Astrophysical Journal Letters, 1992. DOI : 10.1086/186493. [Publication scientifique]

[5] Einstein A., Näherungsweise Integration der Feldgleichungen der Gravitation. Sitzungsberichte der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften (Berlin), 1916. [Publication scientifique]

[6] Abbott B. P., et al., Observation of Gravitational Waves from a Binary Black Hole Merger (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration). Phys. Rev. Lett., 2016. DOI : 10.1103/PhysRevLett.116.061102. [Publication scientifique]


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