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Écriture : Mathilde Gaudel
Relecture scientifique : Maxime Trebitsch et Nicolas Dagoneau
Relecture de forme : Carine Mira et Éléonore Pérès
Temps de lecture : environ 15 minutes.
Thématiques : Astronomie & Astrophysique (Physique)
Publication originale : The Event Horizon Telescope Collaboration, et al., First M87 Event Horizon Telescope Results. I. The Shadow of the Supermassive Black Hole. The Astrophysical Journal Letters, 2019. DOI : 10.3847/2041-8213/ab0ec7
La théorie de la relativité générale d’Einstein a prédit l’existence des trous noirs il y a un siècle. Pourtant, jusqu’à présent, il n’existait aucune observation directe permettant de confirmer cette théorie. C’est ainsi qu’une collaboration internationale de plus de 200 astronomes a relevé un grand défi technique et technologique en créant l’Observatoire de l’horizon des évènements : un réseau de télescopes répartis sur six sites dans le monde, afin d’obtenir la toute première image de l’ombre d’un trou noir.
Qu’est-ce qu’un trou noir ?
Contrairement à ce que son nom indique, un trou noir n’est pas un trou dans l’espace mais un objet céleste extrêmement compact et de masse considérable. Sa gravitation est tellement forte qu’aucune forme de matière ou de lumière ne peut s’en échapper. Ainsi, un trou noir n’émet aucune lumière : il apparait donc comme un astre invisible dans le ciel. Alors, comment étudier et réaliser une image d’un objet qu’on ne peut pas voir ?
L’existence des trous noirs a été envisagée dès le 18e siècle, mais c’est la théorie de la relativité générale d’Einstein en 1915 [1,2] qui a permis d’en réaliser un vrai modèle. En relativité générale, l’Univers est représenté par le concept d’espace-temps. En 2D, l’espace-temps peut être imaginé comme une nappe de pique-nique parfaitement plate qui se courbe sous le poids des assiettes (Figure 1). Or, puisque l’espace-temps est en 3D, il faut plutôt l’imaginer comme un cube « comprimé » autour d’un objet. Plus l’objet est massif, plus le puits créé dans l’espace-temps est profond. Plus le puits est profond, plus un autre objet à proximité devra avoir une grande vitesse pour réussir à s’en échapper.
Par exemple, la masse du Soleil déforme l’espace-temps. Ainsi, la Terre tourne autour du Soleil car elle suit la courbure de l’espace-temps qu’a créé la masse du Soleil, comme une bille sur une roulette au casino. S’il n’y avait pas ce puits, alors la Terre filerait droit dans l’espace. Pour que la Terre échappe au puits créé par le Soleil, il lui faudrait une vitesse de plus de 600 km/s, alors qu’elle tourne autour du Soleil à environ 30 km/s.
De par sa masse considérable, un trou noir créé un puits tellement profond dans l’espace-temps que rien, ni la matière ni la lumière, ne peut échapper à sa gravitation. En effet, pour s’en libérer, il faudrait que la matière ait une vitesse bien plus grande que la vitesse de la lumière (300 000 km/s), qui est la vitesse théorique et observée la plus élevée dans l’Univers. La zone de non-retour du puits d’un trou noir est appelée horizon des évènements.
La prédiction de l’existence de trous noirs découle de la relativité générale. Depuis les années 1960, l’existence de ces trous noirs dans l’Univers est une certitude pour la quasi-totalité des astronomes. Cependant, des observations sont nécessaires pour vérifier ces prédictions théoriques.
Il existe différents types de trous noirs dans l’Univers :
- Les trous noirs dits stellaires qui ont une masse de 3 à 100 fois la masse du Soleil et qui se forment à la mort d’une étoile ayant une masse de plus de 30 fois celle du Soleil.
- Les trous noirs dits supermassifs qui ont une masse allant de plusieurs millions jusqu’à plusieurs milliards de fois la masse du Soleil et qui existeraient au centre de presque toutes les galaxies. La formation de ces trous noirs est encore mal comprise par les chercheurs. Première hypothèse : un trou noir stellaire « avalerait » d’énormes quantités de matière pendant plusieurs millions d’années jusqu’à devenir un trou noir supermassif. Deuxième possibilité : plusieurs trous noirs stellaires fusionneraient pour ne former qu’un unique trou noir supermassif. Enfin, dernière hypothèse : une étoile extrêmement massive (au moins quelques milliers de masses solaires) se contracterait pour former directement un trou noir supermassif.
Dans cette publication scientifique, les astronomes s’intéressent aux trous noirs supermassifs.
Comment détecter un trou noir ?
Comme le trou noir n’émet aucune lumière, il est impossible de l’observer directement pour vérifier les prédictions théoriques. Jusqu’à aujourd’hui, les astronomes utilisaient des détections indirectes.
En étudiant les trajectoires des étoiles
Particulièrement massifs, les trous noirs provoquent une déformation très importante de l’espace-temps. Les trajectoires des objets passant à proximité sont donc altérées par la courbure créée. Pendant plus de 20 ans, les astronomes ont suivi le mouvement des étoiles au centre de notre galaxie, la Voie Lactée, et ont remarqué que les étoiles tournaient autour d’un objet invisible (Figure 2). Grâce à la vitesse et à la trajectoire des étoiles, ils ont déduit que cet objet avait une masse de plus de 4 millions de fois celle du Soleil [3]. Dans la mesure où il n’existe, à notre connaissance, aucun autre astre céleste disposant d’une telle masse et n’émettant aucune lumière, les astronomes ont considéré que ces observations constituaient une preuve indirecte de l’existence d’un trou noir supermassif, appelé Sagittarius A*, situé au centre de notre galaxie. Les astronomes Andrea Ghez et Reinhard Genzel ont d’ailleurs reçu le prix Nobel de Physique en 2020 pour avoir prouvé indirectement l’existence de ce trou noir grâce aux trajectoires des étoiles [4].
En observant la lumière dans le domaine radio
Les trous noirs ont une gravitation tellement forte qu’ils attirent tout ce qui se trouve autour d’eux. La théorie prédit que la matière qui est accrétée forme un disque, appelé disque d’accrétion, autour du trou noir (Figure 3). À cause du frottement, la matière est progressivement chauffée à très haute température avant d’être happée par le trou noir. Toute la matière du disque n’est cependant pas condamnée à tomber dans le trou noir : une partie de la matière peut s’échapper sous forme de jets étroits et chauds qui sont soufflés du disque à une vitesse proche de celle de la lumière (Figure 3). Ces jets très puissants peuvent voyager jusqu’à plusieurs années-lumière du trou noir, et donc de la galaxie, qui les émet. Ils se dissipent lorsqu’ils rencontrent de plus en plus de matière sur leur chemin.
Contrairement au trou noir, le disque d’accrétion autour de lui et les jets de matière qu’il éjecte émettent de la lumière que les astronomes sont capables de capter. La matière dans le disque d’accrétion et dans les jets est chaude, or, tout corps chaud émet de la lumière. Cette lumière, qui traverse l’espace et arrive sur la Terre, est utilisée comme une signature qui apporte des renseignements indirects sur l’éventuel trou noir responsable de la formation de ces structures. Cependant, cette lumière ne peut pas être directement observée à l’œil nu car les objets sont trop lointains et la perception de l’œil humain est très limitée. En effet, notre œil n’est capable de percevoir que le domaine dit du visible, c’est-à-dire le domaine qui réunit les couleurs de l’arc-en-ciel, du violet au rouge (Figure 4). Cependant, la lumière émet dans de nombreux autres domaines que l’on utilise dans notre vie quotidienne sans l’appeler lumière : les ondes radio pour le wifi, les téléphones portables et la radio, les micro-ondes pour réchauffer nos plats, les rayons X pour la radiographie corporelle et les rayons infrarouges, etc. (Figure 4).
Les astronomes peuvent observer le disque d’accrétion et les jets en captant la lumière dans un autre domaine de longueur d’ondes que celui du visible. En effet, un corps chaud émet de la lumière dans différents domaines selon sa température. Par exemple, du métal chauffé à blanc émet de la lumière visible et infrarouge alors que le corps humain à 37 °C n’émet que dans l’infrarouge (Figure 4). La matière chauffée dans le disque et les jets, quant à elle, émet de la lumière notamment dans le domaine radio.
Observer les rayons lumineux en radio depuis la surface terrestre est possible car ces rayons traversent l’atmosphère sans être déviés ou altérés. Les astronomes utilisent donc des télescopes au sol pour observer le ciel dans ce domaine et détecter la possible présence de jets et de disques d’accrétion au centre des galaxies, comme prédit par les modèles, pour en déduire la présence d’un trou noir supermassif.
La Figure 5 montre l’image de jets de matière émis depuis la galaxie Hercule A, située à 2,1 milliards d’années-lumière de la Terre, obtenue dans le domaine radio. On y voit de la matière chaude émise sous forme de faisceaux très étroits qui se propagent bien au-delà de la galaxie Hercule A et se dissipent après avoir parcouru une distance de plus de 1 million d’années-lumière. Dans la mesure où il n’existe aucun autre astre céleste qui puisse émettre des jets aussi puissants, les astronomes considèrent que de telles observations dans le domaine radio constituent une preuve indirecte de la présence d’un trou noir supermassif au centre de la galaxie Hercule A.
Dans la Figure 5 à gauche, il est impossible de distinguer correctement le disque d’accrétion autour du trou noir supermassif : il apparaît comme un point minuscule au centre des jets. Même si les disques sont des objets extrêmement lumineux et très grands par rapport aux planètes (plusieurs dizaines de milliards de km comparés aux 6 400 km de rayon de la Terre), il est difficile d’obtenir une image précise d’un disque d’accrétion. Ceci est dû au fait que les trous noirs sont des objets extrêmement lointains. Faire une image du disque d’accrétion autour du trou noir de la galaxie Hercule A équivaut à essayer de photographier un escargot sur la Lune depuis la Terre. Comme avec un appareil photo, les astronomes doivent donc mettre en place un observatoire avec le grossissement suffisant pour que le disque n’apparaisse pas comme un petit point lumineux mais comme une grande structure très détaillée.
Construction d’un observatoire capable de photographier un trou noir
Comme pour un appareil photo, le défi des observations astronomiques depuis le sol est de collecter suffisamment de lumière provenant des objets étudiés pour obtenir une image avec un bon contraste des zones plus et moins lumineuses, et d’avoir un grossissement suffisant afin de percevoir le maximum de détails sur l’image. Dans le domaine radio, le grossissement d’un télescope, aussi appelé résolution, dépend du diamètre de la coupole qui collecte la lumière. C’est pourquoi les télescopes qui observent actuellement dans le domaine radio sont souvent des antennes gigantesques, entre 15 et 100 mètres de diamètre, pour atteindre la meilleure résolution possible (Figure 6).
Pour atteindre une résolution suffisante afin d’obtenir une image d’un disque d’accrétion autour d’un trou noir dans le domaine radio, il faudrait construire un télescope de la taille de la Terre. La construction de tels instruments étant techniquement impossible, il est nécessaire d’utiliser des réseaux d’antennes. Il s’agit de plusieurs antennes dont la lumière collectée est combinée pour obtenir une seule et unique image (Figure 7). La résolution de l’image obtenue est alors similaire à celle qui serait obtenue avec un seul télescope de diamètre égal à la plus grande distance séparant les antennes du réseau (Figure 7).
Une collaboration internationale de plus de 200 astronomes s’est réunie pour former l’Observatoire de l’horizon des évènements. Ils ont rassemblé 8 stations de télescopes observant dans le domaine radio répartis sur 6 sites différents dans le monde : Hawaï, États-Unis, Mexique, Chili, Espagne et Antarctique (Figure 8). Les antennes de cet observatoire s’étendent sur une distance maximale de 10 700 km, c’est-à-dire sur presque tout le diamètre de la Terre. Un tel observatoire permet d’obtenir une résolution extrêmement fine, suffisante pour lire un journal à New-York depuis Paris. Pour que les télescopes fonctionnent ensemble bien qu’éloignés géographiquement et sur des fuseaux horaires différents, les astronomes les ont synchronisés grâce à des horloges extrêmement précises pour pointer sur la même source exactement au même moment et chronométrer précisément les observations.
Chaque station de l’Observatoire de l’horizon des évènements produit d’énormes quantités de données (environ 350 téraoctets par jour, soit l’équivalent de 684 smartphones de 512 Go par jour) qui sont stockées sur des disques durs externes de haute performance. Pour les analyser et les combiner, ces données sont envoyées par avion [*] à des superordinateurs situés à l’Institut Max Planck de radioastronomie en Allemagne et au Massachusetts Institute of Technology aux États-Unis. Les observations sont alors minutieusement converties en une seule et unique image à l’aide des nouveaux outils de calcul développés spécialement par la collaboration internationale d’astronomes de l’Observatoire de l’horizon des évènements. Cet Observatoire représente donc pour les astronomes un grand défi technique et technologique.
Première image d’un trou noir par l’Observatoire de l’horizon des évènements
La résolution spatiale très fine proposée par l’Observatoire de l’horizon des évènements est idéale pour tenter d’imager le disque d’accrétion entourant un trou noir. Comme on ne peut pas observer directement le trou noir, les astronomes s’attendent à observer une cavité sans lumière au centre du disque, trahissant la présence du trou noir et vérifiant ainsi les prédictions faites sur les trous noirs par la théorie de la relativité générale.
Pour cela, les astronomes de la collaboration de l’Observatoire de l’horizon des évènements se sont intéressés au potentiel trou noir supermassif qui se situe au centre de la galaxie Messier 87 (ou M87) [**]. M87 est une énorme galaxie située à environ 55 millions d’années-lumière de la Terre : elle dispose d’une masse deux fois supérieure à celle de notre galaxie, la Voie lactée, et contient jusqu’à dix fois plus d’étoiles. Elle a été découverte par Charles Messier en 1781, mais n’a été identifiée comme une galaxie qu’au 20e siècle. Depuis les années 1950, cette galaxie a été très étudiée car de nombreuses preuves indirectes indiquaient la présence d’un trou noir supermassif, noté M87*, au centre de la galaxie. En effet, un puissant jet s’étendant sur environ 5 000 années-lumière a été détecté dans le domaine radio avec différents télescopes. Ce jet est également associé à une source centrale et compacte qui émet une forte lumière dans le domaine radio, ce qui suppose la présence d’un disque d’accrétion. De par la gigantesque masse de la galaxie, le trou noir M87* est attendu pour être l’un des plus massifs et des plus visibles depuis la Terre : c’était donc la cible parfaite pour l’Observatoire de l’horizon des évènements.
En 2017, les astronomes de cette collaboration ont observé M87* pendant 4 jours et ont ainsi obtenu les premières images d’un trou noir supermassif (Figure 9).
On voit apparaître sur la Figure 9 un anneau lumineux avec un diamètre d’environ 106 milliards de km, ou 4 jours-lumière, et une épaisseur de 50 milliards de km. La luminosité de l’anneau n’est pas uniforme : il est plus brillant dans la partie sud comparée à la partie nord. Cette asymétrie de la luminosité est due à la grande vitesse, proche de la vitesse de la lumière, de la matière autour du trou noir. Elle peut être expliquée par la théorie de la relativité générale. Vue depuis la Terre, en 2D sur l’image, la matière semble tourner autour du trou noir dans le sens des aiguilles d’une montre.
Au centre de l’anneau, on voit une dépression de la luminosité, que les astronomes de la collaboration de l’Observatoire de l’horizon des évènements identifient comme étant l’ombre du trou noir. L’ombre d’un trou noir est ce qui se rapproche le plus de l’image du trou noir lui-même. En effet, les trous noirs sont tellement massifs qu’ils provoquent une déformation très importante de l’espace-temps. La trajectoire de la lumière passant à proximité est donc altérée par la courbure créée : elle suit la courbure de l’espace-temps créée par le trou noir comme une bille sur le bord extérieur d’une roulette de casino. Même si l’on ne peut pas directement imager l’horizon des événements, les astronomes ont estimé sa taille grâce à l’ombre du trou noir : la zone de non-retour de la lumière est environ 2,5 fois plus petite que l’ombre du trou noir (Figure 9). L’horizon des événements du trou noir M87* mesure environ 38 milliards de km de diamètre, soit 8 fois la distance entre le Soleil et Neptune.
La mesure du diamètre de l’anneau permet d’estimer la masse du trou noir M87* à 6,5 milliards de masses solaires. En comparaison, le trou noir supermassif au centre de notre Voie Lactée, Sagittarius A*, détecté grâce à l’orbite des étoiles (Figure 2), a une masse de 4 millions de masses solaires. M87* est donc un trou noir supermassif.
Comparaison avec les modèles théoriques
À partir des prédictions de la relativité générale, de nombreux modèles de trou noir avaient été réalisés sur ordinateur, le premier datant de 1978 [5]. Les astronomes ont réalisé plusieurs centaines de simulations de trous noirs et la Figure 10 montre la simulation qui reproduit au mieux l’image observée. On y voit un anneau lumineux présentant également une asymétrie nord-sud et une dépression de la luminosité au centre de l’anneau. La correspondance est frappante entre la simulation et l’observation. Cela permet de conclure que l’image observée est donc bien produite par un disque d’accrétion en rotation autour d’un trou noir, la dépression de la luminosité centrale étant bien la signature de l’ombre d’un trou noir.
Conclusion
La comparaison des observations avec des modèles de trou noir réalisés sur ordinateur renforcent l’idée que l’image obtenue par l’Observatoire de l’horizon des évènements est bien celle de l’ombre d’un trou noir. Cette observation apporte ainsi la preuve scientifique de l’existence des trous noirs et valide une nouvelle fois la théorie de la relativité générale, un siècle après son établissement par Einstein. La correspondance entre les observations et les modèles réalisés sur ordinateur valide également toute la chaîne de prise des observations et de leur analyse, qui a représenté un véritable défi technique et technologique pour les astronomes.
Par cette étude, les astronomes ont montré qu’il est désormais possible d’étudier l’environnement très proche des potentiels trous noirs supermassifs grâce à la lumière dans le domaine radio. Cette nouvelle façon d’étudier de tels objets complète la détection d’ondes gravitationnelles [***] provenant de trous noirs. L’Observatoire de l’horizon des évènements compte réitérer ses observations pour parvenir à imager le trou noir supermassif de la Voie Lactée, Sagittarius A*. Pour imager d’autres trous noirs plus lointains que M87*, il faudrait des images à plus haute résolution en ajoutant d’autres télescopes à la boucle et, dans un avenir plus lointain, des télescopes spatiaux. D’ici là, l’Observatoire de l’horizon des évènements pourra observer l’émission des jets au plus près de ces trous noirs supermassifs lointains.
[*] Étant donné la quantité de données, il est bien plus rapide de les envoyer par avion que de les transférer d’un endroit à un autre via la fibre par exemple.
[**] Les astronomes n’ont pas choisi d’observer en premier lieu le trou noir au centre de notre propre galaxie car il est plus difficile à observer en raison de la grande quantité de matière entre nous et le centre de la galaxie.
[***] Voir le papier mâché « Première détection d’ondes gravitationnelles et de rayons gamma provenant d’une fusion de deux étoiles à neutrons » pour en savoir plus sur les ondes gravitationnelles.
[1] Einstein A., Die Feldgleichungen der Gravitation. Sitzungsberichte der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften (Berlin), 1915 (en allemand). Traduction en anglais par Alfred Engel : The Collected Papers of Albert Einstein, Volume 6 : “The Berlin Years: Writings, 1914-1917”. [Publication scientifique]
[2] Schwarzschild K., On the gravitational field of a mass point according to Einstein’s theory. Sitzungsber Preuss Akad Wiss Berlin, 1916. [Publication scientifique]
[3] Ghez A. M., et al., Measuring Distance and Properties of the Milky Way’s Central Supermassive Black Hole with Stellar Orbits. The Astrophysical Journal, 2008. DOI : 10.1086/592738. [Publication scientifique]
[4] Press release: The Nobel Prize in Physics 2020. [Communiqué de presse, en anglais].
[5] Luminet J.-P., Image of a spherical black hole with thin accretion disk. Astronomy and Astrophysics, 1978. [Publication scientifique]
Écriture : Mathilde Gaudel
Relecture scientifique : Maxime Trebitsch et Nicolas Dagoneau
Relecture de forme : Carine Mira et Éléonore Pérès
Temps de lecture : environ 17 minutes.
Thématiques : Astronomie & Astrophysique (Physique)
Publication originale : The Event Horizon Telescope Collaboration, et al., First M87 Event Horizon Telescope Results. I. The Shadow of the Supermassive Black Hole. The Astrophysical Journal Letters, 2019. DOI : 10.3847/2041-8213/ab0ec7
La théorie de la relativité générale d’Einstein a prédit l’existence des trous noirs il y a un siècle. Pourtant, jusqu’à présent, il n’existait aucune observation directe permettant de confirmer cette théorie. C’est ainsi qu’une collaboration internationale de plus de 200 astronomes a relevé un grand défi technique et technologique en créant l’Observatoire de l’horizon des évènements : un réseau de télescopes répartis sur six sites dans le monde, afin d’obtenir la toute première image de l’ombre d’un trou noir.
Qu’est-ce qu’un trou noir ?
Contrairement à ce que son nom indique, un trou noir n’est pas un trou dans l’espace mais un objet céleste extrêmement compact et de masse considérable. Son champ de gravitation est tellement intense qu’aucune forme de matière ou de lumière ne peut s’en échapper. Ainsi, un trou noir n’émet aucune lumière : il apparaît donc comme un astre invisible dans le ciel. Alors, comment étudier et réaliser une image d’un objet qu’on ne peut pas voir ?
L’existence des trous noirs a été envisagée dès le 18e siècle dans le cadre de la mécanique Newtonienne mais c’est la théorie de la relativité générale d’Einstein en 1915 [1,2] qui a permis d’en réaliser un modèle. En relativité générale, l’Univers est représenté par le concept d’espace-temps. En 2D, l’espace-temps peut être imaginé comme une nappe de pique-nique parfaitement plate qui se courbe sous le poids des assiettes (Figure 1). Or, puisque l’espace-temps est en 3D, il faut plutôt imaginer un cube « comprimé » autour d’un objet. Plus l’objet est massif, plus le puits créé dans l’espace-temps est profond. Plus le puits est profond, plus un autre objet à proximité devra avoir une grande vitesse pour réussir à s’en échapper.
Par exemple, la masse du Soleil déforme l’espace-temps. Ainsi, la Terre tourne autour du Soleil à environ 30 km/s car elle suit la courbure de l’espace-temps qu’a créé la masse du Soleil, comme une bille sur une roulette au casino. S’il n’y avait pas cette distorsion, alors la Terre filerait droit dans l’espace. Pour que la Terre échappe au puits créé par le Soleil, il lui faudrait une vitesse dite de libération de plus de 600 km/s. Or, un trou noir créé un puits tellement profond dans l’espace-temps que rien, ni la matière ni la lumière, ne peut échapper à sa gravitation. En effet, il faudrait que la matière ait une vitesse de libération bien plus grande que la vitesse de la lumière (300 000 km/s), qui est la vitesse la plus élevée connue dans l’Univers. La zone de non-retour du puits d’un trou noir est appelée horizon des évènements.
La prédiction de l’existence de trous noirs découle de la relativité générale. Depuis les années 1960, l’existence de ces trous noirs dans l’Univers est une certitude pour la quasi-totalité des astronomes. Cependant, des observations sont nécessaires pour vérifier ces prédictions théoriques.
Il existe différents types de trous noirs dans l’Univers :
- Les trous noirs dits stellaires qui ont une masse de 3 à 100 fois la masse du Soleil et qui se forment à la mort d’une étoile ayant une masse de plus de 30 fois celle du Soleil.
- Les trous noirs dits supermassifs qui ont une masse allant de plusieurs millions jusqu’à plusieurs milliards de fois la masse du Soleil et qui existeraient au centre de presque toutes les galaxies. La formation de ces trous noirs est encore mal comprise par les chercheurs. Première hypothèse : un trou noir stellaire « avalerait » d’énormes quantités de matière pendant plusieurs millions d’années jusqu’à devenir un trou noir supermassif. Deuxième possibilité : plusieurs trous noirs stellaires fusionneraient pour ne former qu’un unique trou noir supermassif. Enfin, dernière hypothèse : une étoile extrêmement massive (au moins quelques milliers de masses solaires) se contracterait pour former directement un trou noir supermassif.
- Les trous noirs dit primordiaux, de masse bien plus faible, qui se seraient formés au tout début de l’histoire de l’Univers, peu après le Big Bang. L’existence de ces trous noirs n’est cependant pas encore confirmée.
Dans cette publication scientifique, les astronomes s’intéressent aux trous noirs supermassifs.
Comment détecter un trou noir ?
Comme le trou noir n’émet aucune lumière, il est impossible de l’observer directement pour vérifier les prédictions théoriques. Jusqu’à aujourd’hui, les astronomes utilisaient des détections indirectes.
En étudiant les orbites des étoiles
Particulièrement massifs, les trous noirs provoquent une déformation très importante de l’espace-temps. Les trajectoires des objets passant à proximité sont donc altérées par la courbure créée. Pendant plus de 20 ans, les astronomes ont suivi le mouvement des étoiles au centre de la Voie Lactée et ont remarqué que les étoiles tournaient autour d’un objet invisible (Figure 2). Grâce à la vitesse et à l’orbite des étoiles, ils ont déduit que cet objet avait une masse de plus de 4 millions de masses solaires [3]. Dans la mesure où il n’existe, à notre connaissance, aucun autre astre céleste disposant d’une telle masse et n’émettant aucun rayonnement, les astronomes ont considéré que ces observations constituaient une preuve indirecte de l’existence d’un trou noir supermassif, appelé Sagittarius A*, situé au centre de notre galaxie. Les astronomes Andrea Ghez et Reinhard Genzel ont d’ailleurs reçu le prix Nobel de Physique en 2020 pour avoir prouvé indirectement l’existence de ce trou noir grâce aux orbites des étoiles [4].
En observant le ciel dans le domaine radio
Les trous noirs ont une gravitation tellement forte qu’ils attirent tout ce qui se trouve autour d’eux. La théorie prédit que la matière forme alors un disque d’accrétion autour du trou noir où elle est chauffée à une température considérable avant d’être happée (Figure 3). Toute la matière du disque n’est cependant pas condamnée à tomber dans le trou noir : une partie de la matière peut s’échapper sous forme de jets étroits et chauds qui sont soufflés du disque à une vitesse proche de celle de la lumière (Figure 3). Ces jets très puissants peuvent voyager jusqu’à plusieurs années-lumière du trou noir, et donc de la galaxie qui les émet. Ils se dissipent lorsqu’ils rencontrent de plus en plus de matière sur leur chemin.
Le disque d’accrétion et les jets sont composés de matière chauffée à haute température. Or, tout corps chaud émet de la lumière dans différents domaines selon sa température : les disques et la matière éjectée à travers les jets émettent notamment de la lumière dans le domaine de la radio. Observer les rayons lumineux en ondes radio depuis la surface terrestre est possible car l’atmosphère y est transparente. Les astronomes utilisent donc des télescopes au sol pour observer le ciel dans ce domaine et détecter la possible présence de jets et de disques d’accrétion au centre des galaxies, comme prédit par les modèles de trou noir supermassif.
La Figure 4 montre l’image de jets de matière émis depuis la galaxie Hercule A, située à 2,1 milliards d’années-lumière de la Terre, obtenue dans le domaine radio. On y voit de la matière chaude émise sous forme de faisceaux très étroits qui se propagent bien au-delà de la galaxie Hercule A et se dissipent après avoir parcouru une distance de plus de 1 million d’années-lumière. Dans la mesure où il n’existe aucun autre astre céleste qui puisse émettre des jets aussi puissants, les astronomes considèrent que de telles observations dans le domaine radio constituent une preuve indirecte de la présence d’un trou noir supermassif au centre de la galaxie Hercule A.
Dans la Figure 4 à gauche, il est impossible de distinguer correctement le disque d’accrétion autour du trou noir supermassif : il apparaît comme un point minuscule au centre des jets. Même si les disques sont des objets extrêmement lumineux et très grands par rapport aux planètes (plusieurs dizaines de milliards de km comparés aux 6 400 km de rayon de la Terre), il est difficile d’obtenir une image précise d’un disque d’accrétion. Ceci est dû au fait que les trous noirs sont des objets extrêmement lointains. Faire une image du disque d’accrétion autour du trou noir de la galaxie Hercule A équivaut à essayer de photographier un escargot sur la Lune depuis la Terre. Les astronomes doivent donc mettre en place un observatoire capable de résoudre spatialement ces objets, c’est-à-dire d’avoir le grossissement nécessaire afin qu’ils n’apparaissent pas comme des petits points lumineux mais comme des structures détaillées.
Construction d’un observatoire capable d’imager un trou noir
La résolution spatiale d’un télescope ne dépend que du diamètre du miroir qui collecte la lumière et de la longueur d’onde du rayonnement qu’on observe. Pour atteindre une résolution spatiale suffisante pour imager le disque d’accrétion d’un trou noir dans le domaine radio, il faudrait construire un télescope de la taille de la Terre. La construction de tels instruments étant techniquement impossible, il est nécessaire d’utiliser des réseaux d’antennes appelées interféromètres. Il s’agit de plusieurs antennes, généralement mobiles, dont les signaux collectés sont combinés pour obtenir une image unique (Figure 5). La résolution spatiale de l’image obtenue est alors similaire à celle qui serait obtenue avec un seul télescope de diamètre égal à la plus grande distance séparant les antennes de l’interféromètre.
Une collaboration internationale de plus de 200 astronomes s’est réunie pour former l’Observatoire de l’horizon des évènements. Ils ont rassemblé 8 stations de télescopes observant dans le domaine radio répartis sur 6 sites différents dans le monde : Hawaï, États-Unis, Mexique, Chili, Espagne et Antarctique (Figure 6). Les antennes de cet observatoire s’étendent sur une distance maximale de 10 700 km, c’est-à-dire sur presque tout le diamètre de la Terre, permettant ainsi d’obtenir une résolution spatiale extrêmement fine, suffisante pour lire un journal à New York depuis Paris. Pour que les télescopes fonctionnent ensemble bien qu’éloignés géographiquement et sur des fuseaux horaires différents, les astronomes les ont synchronisés grâce à des horloges atomiques pour pointer sur la même source exactement au même moment et chronométrer précisément les observations.
Chaque station de l’Observatoire de l’horizon des évènements produit d’énormes quantités de données (environ 350 téraoctets par jour) qui sont stockées sur des disques durs externes de haute performance. Pour les analyser et les combiner, ces données sont envoyées par avion [*] à des super-ordinateurs situés à l’Institut Max Planck de radioastronomie en Allemagne et au MIT aux États-Unis. Les observations sont alors minutieusement converties en une seule et unique image à l’aide des nouveaux outils de calcul développés spécialement par la collaboration internationale d’astronomes de l’Observatoire de l’horizon des évènements. L’Observatoire de l’horizon des évènements représente donc pour les astronomes un grand défi technique et technologique.
Première image d’un trou noir par l’Observatoire de l’horizon des évènements
La résolution spatiale très fine proposée par l’Observatoire de l’horizon des évènements est idéale pour tenter d’imager le disque entourant un trou noir. Comme on ne peut pas observer directement le trou noir, les astronomes s’attendent à observer une cavité sans lumière au centre du disque, trahissant la présence du trou noir ce qui vérifierait les prédictions faites sur les trous noirs par la théorie de la relativité générale.
Pour cela, les astronomes de la collaboration de l’Observatoire de l’horizon des évènements se sont intéressés au potentiel trou noir supermassif qui se situe au centre de la galaxie Messier 87 (ou M87) [**]. M87 est une énorme galaxie située à environ 55 millions d’années-lumière de la Terre : elle dispose d’une masse deux fois supérieure à celle de notre galaxie, la Voie lactée, et contient jusqu’à dix fois plus d’étoiles. Elle a été découverte par Charles Messier en 1781, mais n’a été identifiée comme une galaxie qu’au 20e siècle. Depuis les années 1950, cette galaxie a été très étudiée car de nombreuses preuves indirectes indiquaient la présence d’un trou noir supermassif, noté M87*, au centre de la galaxie. En effet, un puissant jet s’étendant sur environ 5 000 années-lumière a été détecté dans le domaine radio avec différents télescopes. Ce jet est également associé à une source centrale et compacte qui émet une forte lumière dans le domaine radio, ce qui suppose la présence d’un disque d’accrétion. De par la gigantesque masse de la galaxie, le trou noir M87* est attendu pour être l’un des plus massifs et des plus visibles depuis la Terre : c’était donc la cible parfaite pour l’Observatoire de l’horizon des évènements.
En 2017, les astronomes de cette collaboration ont observé M87* pendant 4 jours et ont ainsi obtenu les premières images d’un trou noir supermassif (Figure 7).
On voit apparaître sur la Figure 7 un anneau dont la luminosité est asymétrique : il est plus brillant dans la partie sud comparée à la partie nord. Le diamètre, d’environ 106 milliards de km ou 4 jours-lumière, et la largeur de l’anneau restent stables au cours des 4 jours d’observations. On remarque cependant que la partie brillante de l’anneau est légèrement décalée vers la gauche sur les images du 5 et du 6 avril en comparaison aux images du 10 et 11 avril : cela suggère que l’anneau tourne sur lui-même. Au centre de l’anneau, on voit une dépression de la luminosité, que les astronomes de la collaboration de l’Observatoire de l’horizon des évènements identifient comme étant l’ombre du trou noir.
L’ombre d’un trou noir est ce qui se rapproche le plus de l’image du trou noir lui-même : à cause de la courbure gravitationnelle extrême de l’objet qui déforme le trajet de la lumière, on ne peut pas directement imager l’horizon des événements du trou noir. La zone de non-retour de la lumière est environ 2,5 fois plus petite que l’ombre du trou noir projetée sur l’anneau (Figure 8) : l’horizon des événements du trou noir mesure environ 38 milliards de km de diamètre, soit 8 fois la distance entre le Soleil et Neptune.
Comparaison avec les modèles théoriques
Pour vérifier qu’il s’agit bien de l’image de l’ombre d’un trou noir et du disque d’accrétion qui l’entoure, les astronomes ont comparé les observations à des simulations de trou noir.
En effet, d’autres objets purement théoriques (étoile à boson, trou de ver, etc.) dont l’existence n’a pas été prouvée, pourraient produire des anneaux lumineux comparables. Ces objets théoriques seraient des objets denses et compacts susceptibles de déformer l’espace-temps. La lumière serait alors déviée par la déformation de l’espace-temps et tournerait autour de l’objet en suivant une orbite circulaire. Ces objets contrairement aux trous noirs ne posséderaient pas d’horizon des événements, c’est-à-dire de zone de non-retour de la lumière, mais pourraient créer une ombre sur l’anneau lumineux les entourant. Cependant, à partir des simulations théoriques, les trous de ver sont attendus pour créer une ombre bien plus petite que celle observée dans la Figure 8 tandis que les étoiles à boson ne produiraient pas de jets, ce qui permet de les distinguer des trous noirs. L’hypothèse que l’image de la Figure 8 soit produite par un autre objet compact qu’un trou noir est donc très peu probable.
À partir des prédictions de la relativité générale, de nombreux modèles de trous noirs ont été réalisés sur ordinateur, le premier datant de 1978 [5]. Pour déterminer les caractéristiques d’un trou noir (masse et sens de rotation), les astronomes ont réalisé plusieurs centaines de simulations avec des paramètres différents (par exemple le sens de rotation, le taux d’accrétion de la matière, la valeur du champ magnétique) pour trouver le modèle qui reproduit au mieux l’image observée.
Cependant, les simulations donnent le résultat qu’on obtiendrait si on avait un moyen d’observer avec une résolution spatiale si fine qu’on verrait le moindre détail de la structure et non pas une structure continue et floue (Figure 9). Les astronomes ne peuvent pas directement comparer le résultat d’une simulation avec une observation. Pour se rapprocher au plus près des observations, ils « observent » de manière artificielle la simulation afin de produire l’image qu’ils auraient obtenue s’ils l’avaient directement observé dans le ciel à travers l’Observatoire de l’horizon des évènements. Pour cela, ils prennent en compte les effets des télescopes qui vont dégrader la simulation. La Figure 9 compare la simulation « observée » avec l’observation réelle : on remarque une correspondance frappante entre les deux images. L’image observée est donc bien produite par un disque d’accrétion en rotation autour d’un trou noir et la dépression de la luminosité centrale est la signature observationnelle de l’ombre du trou noir.
Dans la simulation « observée », le disque d’accrétion entourant le trou noir montre également une forte asymétrie dans sa luminosité, avec un côté plus brillant que l’autre. Cette asymétrie est conforme aux prévisions de la relativité générale : elle s’explique par le fait que la matière dans le disque tourne autour du trou noir à une vitesse proche de celle de la lumière. Cette asymétrie nord-sud est cohérente avec les modèles dans lesquels le sens de rotation du trou noir s’éloigne de la Terre, c’est-à-dire que vue depuis la Terre, en 2D, la matière semble tourner dans le sens des aiguilles d’une montre.
Les modèles de trou noir qui correspondent le mieux aux observations ont un anneau d’accrétion avec un diamètre de 42 micro arcsecondes, soit 105 milliards de km et une épaisseur inférieure à 20 micro arcsecondes, soit 50 milliards de km (Figure 9). La mesure du diamètre de l’anneau permet d’estimer la masse du trou noir M87* à 6,5 milliards de masses solaires. En comparaison, le trou noir supermassif au centre de notre Voie Lactée, Sagittarius A*, détecté grâce à l’orbite des étoiles (Figure 2), a une masse de 4 millions de masses solaires. M87* est donc un trou noir supermassif.
Conclusion
La comparaison des observations avec des modèles de trous noirs renforce l’idée que les images obtenues par l’Observatoire de l’horizon des évènements sont bien celles de l’ombre d’un trou noir. Ces observations apportent ainsi la preuve scientifique de l’existence des trous noirs et valident une nouvelle fois la théorie de la relativité générale, un siècle après son établissement par Einstein. La correspondance entre les observations et les modèles valide également toute la chaîne de prise d’observation et d’analyse des données, qui a représenté un véritable défi technique et technologique pour les astronomes.
Par cette étude, les astronomes ont montré qu’il est désormais possible d’étudier l’environnement très proche des potentiels trous noirs supermassifs grâce à la lumière dans le domaine radio. Cette nouvelle façon d’étudier de tels objets complète la détection d’ondes gravitationnelles [***] provenant de trous noirs. L’Observatoire de l’horizon des évènements compte réitérer ses observations pour parvenir à imager le trou noir supermassif de la Voie Lactée, Sagittarius A*. Pour imager d’autres trous noirs plus lointains que M87*, il faudrait des images à plus haute résolution en ajoutant d’autres télescopes à la boucle et, dans un avenir plus lointain, des télescopes spatiaux. D’ici là, l’Observatoire de l’horizon des évènements pourra observer l’émission des jets au plus près de ces trous noirs supermassifs lointains.
[*] Étant donné la quantité de données, il est bien plus rapide de les envoyer par avion que de les transférer d’un endroit à un autre via la fibre par exemple.
[**] Les astronomes n’ont pas choisi d’observer en premier lieu le trou noir au centre de notre propre galaxie car il est plus difficile à observer en raison de la grande quantité de matière entre nous et le centre de la galaxie.
[***] Voir le papier mâché « Première détection d’ondes gravitationnelles et de rayons gamma provenant d’une fusion de deux étoiles à neutrons » pour en savoir plus sur les ondes gravitationnelles.
[1] Einstein A., Die Feldgleichungen der Gravitation. Sitzungsberichte der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften (Berlin), 1915 (en allemand). Traduction en anglais par Alfred Engel : The Collected Papers of Albert Einstein, Volume 6 : “The Berlin Years: Writings, 1914-1917”. [Publication scientifique]
[2] Schwarzschild K., On the gravitational field of a mass point according to Einstein’s theory. Sitzungsber Preuss Akad Wiss Berlin, 1916. [Publication scientifique]
[3] Ghez A. M., et al., Measuring Distance and Properties of the Milky Way’s Central Supermassive Black Hole with Stellar Orbits. The Astrophysical Journal, 2008. DOI : 10.1086/592738. [Publication scientifique]
[4] Press release: The Nobel Prize in Physics 2020. [Communiqué de presse, en anglais].
[5] Luminet J.-P., Image of a spherical black hole with thin accretion disk. Astronomy and Astrophysics, 1978. [Publication scientifique]
[6] The Event Horizon Telescope Collaboration, et al., First M87 Event Horizon Telescope Results. V. Physical Origin of the Asymmetric Ring. The Astrophysical Journal Letters, 2019. DOI : 10.3847/2041-8213/ab0f4. [Publication scientifique]
Merci pour cet excellent article de vulgarisation.