Des boules de neige pour la conservation des espèces : identifier des espèces carnivores rares grâce à leurs traces ADN laissées dans la neige

Traduction
Collaboration

Cette traduction a été réalisée par un étudiant du Master Rédacteur/Traducteur de l’Université de Bretagne-Occidentale de Brest, dans le cadre d’un enseignement intitulé « Agence de traduction fictive ».

Cet article a été traduit depuis le site Envirobites

Écriture (anglais) : Abigail Bezrutczyk
Traduction : Julien Jouan
Relecture : Audrey Denizot et Eléonore Pérès

Difficulté :
Temps de lecture : environ 4 minutes.
Thématique : Écologie

Publication originale : Franklin T.W., et al., Using environmental DNA methods to improve winter surveys for rare carnivores: DNA from snow and improved noninvasive techniques. Biological Conservation, 2019. DOI : 10.1016/j.biocon.2018.11.006

Crédit : Keith Williams/flickr/CC BY 2.0

Des chercheurs ont repéré les traces d’un lynx qui venait de passer avant eux. Après avoir recouvert leurs gants de sacs en plastique, ils ont prélevé la neige contenant l’empreinte pour la déposer dans une bouteille en plastique (Figure 1). Évidemment, l’empreinte était déformée par ce transfert, mais la trace du lynx restait présente par son ADN

C’est une de ces techniques scientifiques qui ressembleraient presque à de la magie : prélever un échantillon d’eau, de neige ou de sol et être capable de déterminer quelle espèce se trouvait là, en analysant les fragments d’ADN laissés derrière elle. Ce mélange de fragments s’appelle ADN environnemental, ou eDNA, et bien qu’il soit étudié depuis les années 1980 [1], son analyse s’améliore sans cesse et est utilisée à de nouvelles fins. Les chercheurs du service des forêts des États-Unis qui collectent la neige, par exemple, essayaient de perfectionner les méthodes de détection des carnivores rares (comme le lynx, le pékan et le glouton) en hiver.

À gauche, une main humaine, gantée de plastique, récolte de la neige. À droite, une bouteille plastique remplie de neige comportant une étiquette mentionnant des informations comme la date de prélèvement.
Figure 1. La neige autour des traces a été prélevée dans une bouteille de 2 L avant l’extraction et l’analyse de l’ADN. Issue de la publication originale/CC BY 4.0.

Inspecteurs d’ADN

Les programmes de conservation de la nature nécessitent beaucoup de données, même pour une information sur les populations aussi simple que de savoir combien de lynx et de gloutons se trouvent dans la région. Pour y répondre, vous pourriez échantillonner les populations à l’aide de méthodes non invasives, dans l’idéal. Il s’agirait alors de photographier les animaux qui passent devant l’appareil, de collecter les poils retrouvés sur des barbelés ou des excréments, de suivre les empreintes au sol ou encore de prélever le sol après leur passage.

Mais comme toute science, le risque d’erreur subsiste. Si un piège photographique capture une image pixelisée avec une tâche de la taille d’un mammifère en arrière-plan, les scientifiques pourraient confondre un lynx avec un lynx roux. Tout comme l’animal pourrait se poster à proximité de l’appareil sans même être détecté. Ajoutons à ces difficultés le manque d’accessibilité à ces animaux ainsi que l’imprévisibilité des technologies dans les conditions extrêmes de l’hiver, et les risques d’erreurs s’accumulent. Collecter des données erronées peut mener à des conclusions infondées qui impacteraient la protection des espèces. Par exemple, une surestimation du nombre d’individus peut entraîner un manque de protection dont l’espèce aurait besoin. Si la population réelle venait à diminuer, cela pourrait passer inaperçu. En clair, l’exactitude des données recueillies a des conséquences dans la « vraie vie ».

Auparavant, lorsqu’un expert découvrait les traces d’un animal, il devait remonter la piste jusqu’à tomber sur ses excréments ou ses poils, réduisant ainsi l’erreur d’identification grâce aux preuves corroborantes. Cela impliquait de marcher péniblement dans la neige, gaspillant ainsi du temps et de l’énergie. Mais si les scientifiques pouvaient se contenter de collecter la neige et d’utiliser une technologie pour analyser les restes d’ADN, ils pourraient rapidement confirmer leur intuition, gagner du temps et augmenter leur précision. C’est là le pouvoir potentiel qu’offre l’analyse de l’eDNA.

La conversion de l’ADN en données

Leurs échantillons en poche, les scientifiques doivent maintenant en analyser l’ADN. Pour cette équipe, cela signifie : collecter la neige sous les empreintes, collecter la neige une fois l’animal repéré par une caméra et collecter des échantillons de poils sur les barbelés laissés l’hiver. La neige récupérée dans la bouteille est mise à fondre puis filtrée. L’équipe de recherche doit ensuite répliquer l’ADN afin d’amplifier le signal laissé dans leur collection de fragments d’ADN. Pour y parvenir, ils ont employé une technique appelée PCR quantitative (ou qPCR) [*]. L’utilisation de la qPCR distingue cette étude des précédentes analyses d’eDNA dans la neige, et cette méthode a fourni des résultats prometteurs. 

Dans l’ensemble, leur méthode a permis de repérer les espèces avec précision. Elle peut également être utilisée lorsque de multiples espèces sont présentes dans un même site et qu’elles utilisent, par exemple, le même sentier enneigé. Elle peut aussi fortement faciliter le repérage de ces espèces rares en hiver. Le futur s’annonce prometteur pour l’eDNA et il y a encore un grand potentiel de développement. Les auteurs de la publication ont souligné qu’il serait utile d’avoir un test pouvant fournir une identification formelle : plutôt que de dire « cet échantillon ne provient pas d’un glouton », avoir comme information « ce n’est pas un glouton mais un lynx » [*].

Les nouvelles méthodes offrent une représentation plus juste du monde extérieur et concourent à une prise de décision plus avisée concernant la conservation des espèces : une boule de neige renferme beaucoup de pouvoir.


[*] Note de la rédaction : Afin de détecter les espèces animales, l’équipe de recherche a utilisé des morceaux d’ADN spécifiques de chacune des espèces testées (lynx, pékan et glouton) afin de les comparer aux séquences trouvées dans la neige. Le résultat indique donc si oui ou non l’ADN correspond à la séquence de référence. Si non, il faut alors faire un autre test avec une séquence d’une autre espèce et procéder ainsi par élimination.


[1] Díaz-Ferguson E.E. & Moyer G.R., History, applications, methodological issues and perspectives for the use environmental DNA (eDNA) in marine and freshwater environments. Revista de Biología Tropical, 2014. DOI : 10.15517/rbt.v62i4.13231 [Publication scientifique]


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