Plus noir que noir ?

Traduction

Cet article a été traduit depuis le site Chembites

Écriture (anglais) : Charlie Crowe
Traduction : Eléonore Pérès
Relecture scientifique : Pauline Colinet
Relecture de forme : Jérémy Ferrand

Difficulté :
Temps de lecture : environ 5-6 minutes.
Thématique : Chimie des matériaux (Chimie)

Publication originale : Cui K. & Wardle B.L., Breakdown of Native Oxide Enables Multifunctional, Free-Form Carbon Nanotube-Metal Hierarchical Architectures. ACS Applied Materials & Interfaces, 2019. DOI : 10.1021/acsami.9b08290.

Crédit : Mihail_hukuna/Pixabay

Il y a plusieurs années, lorsque les scientifiques ont mis au point le Vantablack [*], c’était le matériau le plus sombre jamais produit. Si parfaitement noir qu’il ressemble davantage à un trou dans le néant qu’à un objet peint en noir. Le Vantablack — et les matériaux assimilés — est composé de nanotubes de carbone alignés verticalement de telle sorte que la lumière rebondit sur les minuscules structures nanométriques jusqu’à être presque totalement absorbée et que toute son énergie soit convertie en chaleur. Mais des études récentes réalisées au MIT (Massachussetts Institute of Technology, USA) ont produit un nouveau matériau dix fois plus noir que le Vantablack. Pour l’obtenir, les chercheurs ont utilisé une technologie similaire mais en organisant cette fois les nanotubes de manière aléatoire.

Les nanotubes de carbone sont de minuscules structures composées d’atomes de carbone agencés avec précision pour former de longs tubes minces de quelques nanomètres de diamètre. Ils « poussent » généralement sur une surface métallique par une technique appelée dépôt chimique en phase vapeur (CVD pour chemical vapor deposition) où une réaction de catalyse [**] transforme de l’acétylène et du dioxyde de carbone en carbone solide.

Le nouveau procédé mis au point débute par l’activation de la surface d’une feuille d’aluminium pour permettre la production de nanotubes. Cette activation de surface (sa) sert à la fois à éliminer la couche d’oxyde que la plupart des métaux forment dans l’air ambiant en réagissant avec l’oxygène, mais aussi à produire une surface texturée sur laquelle les nanotubes vont pouvoir se former avec une orientation aléatoire.

Les chercheurs commencent par immerger l’aluminium dans un bain de chlorure de sodium (NaCl, le sel de table). En effet, les ions chlorure (Cl) qui sont produits lorsque le sel se dissout diffusent vers la surface du métal où ils corrodent et dissolvent une partie de l’aluminium (Figure 1A-i). Il en résulte une surface nanostructurée avec des montagnes et des puits d’aluminium, dépourvue de la moindre couche d’oxyde : c’est l’aluminium activé en surface (sa-Al) (Figure 1B-ii).

A. On a l'évolution de la cuve en 4 étapes avec la composition du solvant et la surface : 1- NaCLaq et Al ; 2- Di H20 et sa-Al ; 3- EtOH et sa-AL rincé ; 4- sa-Al couvert de catalyseurs Fe/Co. B. Sur l'interface on voit : 1- une couche verte d'oxyde ; 2- la couche est creusée vers l'intérieur et la couche verte est cassée ; 3- Il n'y a plus d'oxyde, la frontière est escarpée ; 4- idem que 3 avec une couche de Fe/Co.
Figure 1. A. Déroulé de la préparation de la surface en aluminium pour permettre la croissance des nanotubes de carbone. B. Dessin montrant comment le traitement enlève la couche d’oxyde (en vert) et laisse une surface nanostructurée. Crédit : adaptée de la publication originale avec la permission de l’éditeur © 2019 American Chemical Society.

L’aluminium ne peut pas à lui seul catalyser la réaction formant les nanotubes de carbone. L’étape suivante du processus consiste donc à recouvrir l’aluminium d’un autre métal pouvant la catalyser. L’aluminium activé en surface est alors rincé à l’eau et à l’éthanol avant d’être finalement plongé dans une solution d’acétate de fer et d’acétate de cobalt (Fe/Co) qui réagissent à la surface de l’aluminium pour former de minuscules nanoparticules contenant ces deux métaux (Figure 1B-iv).

La surface est maintenant prête pour la croissance des nanotubes, elle va pouvoir subir le dépôt chimique en phase vapeur. Pour cela, elle est placée dans une chambre et mise à réagir avec l’acétylène et le dioxyde de carbone. Les nanotubes commencent à se développer de part et d’autre des nanoparticules de Fe/Co (Figure 2A), dans toutes les directions. Quand le processus est terminé, les nanotubes de carbone forment une couche dense à la surface de l’aluminium (Figure 2B). Vue de la surface, le réseau de nanotubes ressemble à une forêt épaisse (Figure 2C). Le revêtement noir est aussi flexible que le matériau sur lequel il est formé, ce qui lui permet d’être plié en différentes formes (Figure 2D) [***].

Figure 2. A. Image au microscope électronique à transmission d’une nanoparticule de fer/cobalt Fe/Co (tache foncée en bas) et d’un nanotube de carbone (lignes parallèles verticales) « poussant » à partir d’elle. B.-C.. Images au microscope électronique à balayage de la surface revêtue de nanotubes de carbone en coupe transversale (B) et vue du dessus (C). D. Feuille d’aluminium recouverte de nanotubes de carbone, pliée à 90°. Crédit : adaptée de la publication originale avec la permission de l’éditeur © 2019 American Chemical Society.

Après la fabrication du nouveau revêtement, les chercheurs ont étudié ses propriétés en les comparant à d’autres types de revêtements composés de nanotubes de carbone. Ils ont d’abord mesuré le facteur de réflexion de la surface, c’est-à-dire sa capacité à réfléchir les différentes longueurs d’onde spécifiques lorsqu’elle est éclairée. Plus le facteur de réflexion est faible, plus le matériau est sombre. Ce nouveau revêtement (CNT/sa-Al sur la Figure 3A ; CNT pour Carbon NanoTube) a un facteur de réflexion plus faible, à toutes les longueurs d’onde testées, que tous les autres matériaux dont la production a été publiée, y compris le Vantablack (triangles rose et ronds noir sur à la Figure 3A). Comme les nanotubes de carbone sont aléatoirement structurés à la surface, ils sont capables d’absorber la lumière de façon quasi-parfaite depuis n’importe quel angle. Cette caractéristique est quantifiée par l’émissivité du matériau, c’est-à-dire la quantité de lumière atteignant le matériau qui est réémise sous forme de chaleur (Figure 3B) [****].

A. Des courbes d'allures différentes. B. Les points rouges sont alignés pour une émissivité de 100% quel que soit l'angle.
Figure 3. A. Facteur de réflexion à différentes longueurs d’onde de divers matériaux foncés dont le Vantablack (triangles roses et points noirs) et le nouveau matériau étudié (CNT/sa-Al) (ligne rouge). [N.D.L.T. Ordonnées : ua pour unité arbitraire. Abscisses : échelle logarithmique où l’on multiplie par 10 à chaque grande graduation].  B. Émissivité (points rouges) du nouveau matériau sous différents angles. Crédit : adaptée de la publication originale avec la permission de l’éditeur © 2019 American Chemical Society.

Ces propriétés fascinantes rendent les matériaux comme ce nouveau revêtement et le Vantablack intéressants pour de nombreuses applications. Le Vantablack est actuellement utilisé comme pigment par certains artistes qui veulent un noir le plus profond possible. Quant au nouveau revêtement CNT/sa-Al, il n’a pour l’instant été utilisé que dans le cadre d’un projet artistique mêlant art et science intitulé The Redemption of Vanity dans lequel il recouvre un diamant jaune de 16,78 carats, devenu ainsi le diamant le plus noir jamais produit.

Mais, en plus de son incroyable absorption optique, les propriétés électriques de ce nouveau revêtement sont également révolutionnaires. 

[N.D.L.T. En effet, les nanotubes de carbone déposés sur la surface d’aluminium selon ce procédé conduisent mieux l’électricité que les précédents matériaux car les électrons se transfèrent plus facilement. Cela est dû au fait que le CNT/sa-Al possède une faible résistance électrique grâce à l’organisation spatiale dense des nanotubes ainsi qu’au contact direct entre les nanotubes et le l’aluminium (absence de couche d’oxyde ou de couche d’air entre la surface d’aluminium et les nanotubes de carbone). Le transfert électrique est ainsi très efficace. Ces propriétés structurales, permettant un stockage important et un transfert rapide des charges électriques, sont intéressantes et recherchées pour fabriquer de nouvelles batteries.] 

Cette nouvelle technique d’obtention de nanotubes de carbone est donc une grande avancée dans la connexion électrique et mécanique des nanotubes à la surface métallique sur laquelle ils sont développés. Un jour, en plus de la création d’œuvres d’art déroutantes, ce matériau pourrait ainsi être utilisé comme technologie pour des télescopes spatiaux ou pour produire de l’électricité à partir d’énergie solaire !


Notes de la traduction (N.D.L.T.)

[*] Le nom Vantablack vient de l’anglais Vanta pour Vertically Aligned NanoTube Array.

[**] Le terme catalyse désigne un processus au cours duquel une réaction chimique est accélérée grâce à l’ajout d’une espèce chimique précise appelée catalyseur. Ici, la solution d’acétate de fer et d’acétate de cobalt (Fe/Co) est catalyseur de la réaction de formation des nanotubes de carbone.

[***] L’aluminium est un métal malléable.

[****] Plus l’émissivité est proche de 100 %, plus le matériau convertit la lumière en chaleur et donc plus il a absorbé de lumière, ce qui le rend d’autant plus opaque. Une émissivité de 100 % est atteinte pour ce que l’on appelle le modèle du corps noir : un objet idéal qui absorbe toute la lumière, quelle que soit la longueur d’onde. En pratique, cela n’existe pas. 


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