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Écriture : Marine Lasbleis
Relecture scientifique : Stéphanie Durand et Mickaël Bonnin
Relecture de forme : Fanny Grisetto et Lucile Rey
Temps de lecture : environ 13 minutes.
Thématiques : Géophysique interne (Géologie)
Publication originale : Dziewonski A. M. & Anderson D. L., Preliminary reference Earth model. Physics of the earth and planetary interiors, 1981. DOI : 10.1016/0031-9201(81)90046-7
En sciences, alors que certains modèles deviennent obsolètes dès leur publication ou presque, d’autres semblent éternels. Le modèle PREM, pour modèle préliminaire de référence de la Terre, fait partie de la seconde catégorie. Ce modèle, pensé pour être préliminaire, fait pourtant figure de référence depuis 40 ans, à tel point qu’aucun autre modèle n’ose plus se prétendre être « de référence ».
Savez-vous ce qu’il y a sous vos pieds ? Imaginez, vous êtes assis sur la pelouse d’un parc. Sous vos pieds ? De l’herbe, de l’humus, de la terre. Et encore en dessous ? En creusant un peu, vous trouverez probablement de la roche. Le type de cette roche dépend évidemment de là où vous vous trouvez, en France ou ailleurs. En région parisienne, il est probable que la roche à quelques mètres en dessous de vous soit du calcaire. En Bretagne, ce sera du granite ou du grès. Et si vous regardiez encore plus profondément ? Le centre de la Terre se trouve 6 371 km [*] sous vos pieds, et pour y parvenir (métaphoriquement car malheureusement ou heureusement, un humain n’y mettra jamais les pieds), il vous faudra traverser de grandes structures géologiques : les grandes unités structurales qui forment la Terre.
Comment étudie-t-on l’intérieur d’une planète ?
La composition et la structure de la Terre intriguent les chercheurs depuis longtemps. Il faut dire qu’au début du siècle dernier, on connaissait mieux les confins de notre système solaire que l’intérieur de notre planète. En 1930, on découvrait l’existence de Pluton, mais ce n’est qu’en 1936 que la structure la plus profonde de la Terre, la graine, a été mise en évidence par la sismologue danoise Inge Lehmann.
On ne peut pas creuser pour aller voir l’intérieur de la Terre. Ce n’est pas faute d’avoir essayé : le forage le plus profond, celui de Kola en Russie, a été lancé en 1970 mais arrêté en 1989 faute de progrès. En effet, même armé du matériel adéquat, ce forage n’a atteint que 12 kilomètres sur les 30 kilomètres nécessaires pour atteindre la limite entre la croûte et le manteau (Figure 1). Comparé au rayon de la Terre, c’est comme si, sur un ballon de basket, vous n’aviez creusé que l’équivalent de l’épaisseur de quelques cheveux… Mais, si creuser n’est pas une option pour étudier les profondeurs de la Terre, que faire ? Eh bien, il est possible de faire une échographie de notre belle planète, grâce aux ondes générées par les séismes !
Au début du siècle dernier, l’étude des premiers enregistrements de séismes, appelés sismogrammes, ont permis de mettre en évidence la structure globale de notre planète. On ne connaît alors que l’existence des grandes « couches » : le noyau situé au centre de la Terre, recouvert du manteau terrestre rocheux puis la croûte terrestre. Il faut attendre les années 80 pour que le développement des outils informatiques rende possible la construction de modèles de la Terre plus précis ! C’est dans ce contexte que Dziewonski et Anderson publient en 1981 le premier modèle de ce type de la structure interne de la Terre appelé modèle PREM, pour « Preliminary Reference Earth Model » (en français « modèle préliminaire de référence de la Terre »).
Ondes sismiques
Pour mieux comprendre leur travail, il faut tout d’abord se pencher sur ce qu’est un sismogramme. Les stations sismiques permettent d’enregistrer de manière très précise les mouvements du sol. Sur ces enregistrements, on peut y voir l’activité humaine [**], mais on y cherche surtout les signaux générés par les grands séismes.
Les séismes, ou tremblements de terre, sont des secousses ou séries de secousses plus ou moins violentes du sol liées à la libération d’énergie suite au glissement de deux blocs de la croûte le long d’une faille, principalement dues au mouvement des plaques tectoniques [***]. Ces séismes génèrent des ondes dites sismiques qui se propagent à la surface de la Terre — ce sont les mouvements de sol que l’on ressent lorsque l’on est suffisamment proche de l’épicentre du séisme — et dans la Terre. Pour mieux comprendre, on peut regarder le cas d’une vague provoquée par un objet qui tombe dans l’eau. L’énergie liée à l’impact génère une vague qui se propage de proche en proche par déformation de la surface de l’eau : c’est une onde. Les ondes sismiques se propagent elles aussi en déformant l’intérieur de la Terre, de proche en proche.
D’une manière générale, on définit deux catégories dans la manière de déformer un matériau, ce qui explique qu’il existe deux grands types d’ondes sismiques (représentées dynamiquement dans la Figure 2) : les ondes de pression (ondes P) et les ondes de cisaillement (on parlera aussi d’ondes S). Les ondes P sont des ondes similaires aux ondes sonores avec une vibration dans la direction de propagation, on parle aussi de compression (Figure 2, haut). Les ondes S, de cisaillement, « cisaillent » le matériau : les roches vibrent perpendiculairement à la direction de propagation (Figure 2, bas). Les ondes S, de cisaillement, ne peuvent se propager que si le milieu est solide, car il faut que deux morceaux du milieu en contact (les cubes sur la Figure 2) puissent frotter l’un contre l’autre. Ainsi, les ondes S ont une propriété intéressante pour sonder l’intérieur d’une planète : elles ne se propagent pas dans les milieux liquides, dans lesquels les frottements sont trop faibles (on dit aussi qu’ils ont une viscosité trop faible).
La vitesse de propagation des ondes dépend des propriétés des matériaux qu’elles traversent. Connaître la vitesse d’une onde dans un endroit donné, c’est donc recueillir des informations sur l’état et la composition du milieu à cet endroit. Quand un séisme majeur (magnitude > 6) se déclenche quelque part sur la planète, les ondes générées vont être enregistrées dans différentes stations sismiques. Ces stations enregistrent alors de façon très fine les mouvements du sol dans les trois directions de l’espace. Chacune des stations étant située à un endroit différent, elles enregistrent l’arrivée des ondes à des temps différents. En connaissant le trajet de l’onde dans la Terre, il est alors possible de calculer la vitesse des ondes, ou plutôt la vitesse moyenne des ondes, sur leur parcours.
Comment obtenir ce parcours ? Les ondes sismiques sont sensibles aux changements des propriétés élastiques, qu’ils soient brusques (on parle alors d’interfaces) ou plus graduels. Dans le premier cas, lorsqu’une onde sismique rencontre une interface, elle génère deux nouvelles ondes, une onde réfractée (qui traverse) et une onde réfléchie (qui rebondit), dont les angles de propagation dépendent des propriétés de chacun des deux milieux (Figure 3).
Dans le cas de changements de propriétés plus graduels, l’onde prend une trajectoire qui ne sera plus rectiligne, mais courbée ! Cet effet est visible sur la Figure 4 : l’onde choisit le chemin qui optimise son temps de trajet, et donc suit une trajectoire courbée.
PREM : un modèle de la Terre
Revenons maintenant aux sismologues, et à l’intérieur de notre planète. Les stations sismiques enregistrent les ondes émises par les séismes, et il est possible d’extraire de ce signal les propriétés des matériaux composant l’intérieur de la Terre. Mais à quelle précision ? Avec quelles approximations ? Avec quelles données exactement ? Les sismogrammes regorgent d’informations : une centaine de séismes de magnitude supérieure à 5 se produisent en effet chaque semaine. Les données sont donc nombreuses, mais pourtant incomplètes : les stations sismiques ne sont présentes en quantité que sur les terres émergées. L’hémisphère Sud, composé en majorité de zones océaniques, ne fournit donc que très peu de données. De plus, les séismes ne sont pas répartis de manière homogène sur le globe, puisqu’ils se produisent principalement aux limites des plaques tectoniques. On a donc à la fois trop de données (pour qu’un ordinateur puisse les traiter), et pas assez (des zones sont inaccessibles).
Les propriétés du modèle développé par Dziewonski et Anderson, et en particulier les méthodes mises en place, ont en grande partie été discutées et proposées par la communauté des sismologues lors de la décennie précédant sa publication. Lors de l’assemblée générale de l’IUGG (Union Géodésique et Géophysique Internationale) à Moscou en 1971, le comité du « standard Earth model » débute la mise au point d’un modèle simple (mais représentatif) de la Terre pour les besoins de l’ensemble de la communauté géophysique. Les sismologues ne sont en effet pas les seuls à s’intéresser à ce qui se passe au plus profond de notre planète. L’étude du champ de gravité ou des marées terrestres, par exemple, nécessite en effet des connaissances sur la structure interne de la Terre. Le comité s’accorde sur le fait de modéliser la Terre par des couches concentriques (on parle aussi de modèle radial : le modèle donne une structure en fonction du rayon seulement, sans variation de longitude ou de latitude) au sein desquelles les propriétés des ondes sismiques varient selon des fonctions mathématiques simples (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas constantes dans une couche). Le modèle PREM est l’aboutissement du travail mené par le comité du « standard Earth model », et présente l’évolution en fonction de la profondeur des propriétés élastiques dans la Terre. Parmi ces propriétés élastiques, trois permettent de comprendre la structure de la Terre : la masse volumique, la vitesse des ondes sismiques de pression (ondes P) et la vitesse des ondes sismiques de cisaillement (ondes S) (Figure 5).
Le modèle PREM met en évidence la structure interne de notre planète : un noyau très dense, de 3 480 km de rayon, situé au centre du globe surmonté d’un manteau rocheux. La forte masse volumique du noyau est due au fait qu’il est majoritairement constitué d’un alliage de fer et de nickel. Le noyau est subdivisé en deux unités : la graine solide (où peuvent se propager les ondes de cisaillement) et le noyau externe liquide (où la vitesse des ondes de cisaillement tombe à zéro, voir la courbe bleue Figure 5). Le manteau terrestre est lui aussi constitué de plusieurs sous unités, séparées par des interfaces plus ou moins marquées. Ces variations de vitesse des ondes sismiques sont expliquées par le changement de phase des minéraux constitutifs des roches en profondeur. Ces minéraux sont en effet sensibles à plusieurs paramètres extérieurs, tels que la pression, qui font varier l’organisation de leurs atomes entraînant alors des modifications des propriétés élastiques et de la masse volumique des roches.
Le modèle PREM de nos jours
Le travail de Dziewonski et Anderson est d’autant plus intéressant que ce modèle PREM s’est révélé extrêmement robuste. Il est à la fois simple à utiliser et suffisamment précis pour être utile. Ce n’est pas le premier modèle de l’intérieur de la Terre qui a été proposé, mais il est suffisamment polyvalent pour être utilisé dans tous les champs des sciences de la Terre et de l’Univers. À partir du modèle PREM, on peut par exemple calculer la masse totale du noyau terrestre et du manteau terrestre, estimer la densité moyenne dans le noyau ou le manteau, calculer le profil de gravité moyen ou encore calculer la pression au centre de la Terre.
Cependant, le modèle PREM peut être amélioré. En effet, il décrit une Terre moyenne, homogène, organisée en couches concentriques. Or, on sait que l’intérieur de la Terre n’est pas si simple. De la croûte océanique plonge dans le manteau au niveau de zones dites de subduction, et du matériel plus ou moins profond remonte vers la surface au niveau des zones volcaniques. Ces mouvements de matières ne sont possibles que dans une Terre hétérogène. Ces hétérogénéités peuvent être localisées grâce à la sismologie. Pour ce faire, les sismologues regardent les écarts entre les temps de propagation des ondes prédits par le modèle PREM et ceux mesurés sur les sismogrammes. Ces écarts, appelés anomalies, nous renseignent sur la vitesse de propagation qui peut être plus forte ou plus faible que celle prévue par le modèle PREM. En utilisant suffisamment de données, les sismologues produisent ainsi des cartes d’anomalies de vitesses sismiques en trois dimensions. Ces modèles 3D donnent de magnifiques images, dites de tomographie sismique (Figure 6), souvent représentées en coupe avec des échelles de couleur allant du bleu (vitesses plus grandes que dans le modèle PREM) au rouge (vitesses plus faibles). Pourquoi ce choix de couleur ? L’interprétation la plus simple des variations de vitesses sismiques est celle d’une variation de température. Un matériel plus chaud est moins dense, les ondes sismiques s’y propagent donc moins vite, et les vitesses enregistrées sont alors plus faibles. Inversement, dans un matériau froid et donc plus dense, les ondes se propagent plus vite, et les vitesses mesurées sont plus grandes. Ainsi, un premier niveau d’interprétation des modèles 3D est que les zones rouges sont des zones plus chaudes que la moyenne et les zones bleues plus froides que la moyenne. Les zones de subduction, où les plaques océaniques plongent à l’intérieur de la Terre en générant des séismes, y sont ainsi visibles comme des plaques froides (bleues) qui plongent dans le manteau plus chaud (rouge).
[*] en moyenne. Techniquement, cela dépend un peu de votre latitude (le rayon moyen à l’équateur est plus grand que celui au pôle) et de votre altitude.
[**] En 2020, la baisse de l’activité humaine du fait de la situation sanitaire et des confinements a été enregistrée par plusieurs réseaux sismiques, en particulier ceux localisés près de grandes villes ! [4]
[***] Il y aussi des tremblements de terre d’origine humaine (tir de carrières par exemple) ou d’origine extra-terrestres. Ici, pas de science fiction ou d’aliens ! Mais les impacts de météorites ou l’explosion de bolides peuvent générer des tremblements de terre. Ce fut le cas en 2013 en Russie, où un bolide a explosé en plein jour, filmé par des caméras embarquées et enregistré par les stations sismiques environnantes.
[****] Les données de PREM sont disponibles sur IRIS et la figure a été réalisée avec un script Python créé pour l’occasion et disponible ici.
[1] Seismic Wave Demonstrations and Animations, L. Braile. [Site internet]
[2] Durand S., et al., Confirmation of a change in the global shear velocity pattern at around 1000 km depth. Geophysical Journal International, 2017. DOI : 10.1093/gji/ggx405. [Publication scientifique]
[3] Durand S., et al., SeisTomoPy: Fast visualization, comparison and calculations in global tomographic models. Seismological Research Letters, 2017. DOI : 10.1785/0220170142. [Publication scientifique]
[4] Coronavirus lockdowns have changed the way Earth moves. Nature News, 2020. [Article de presse]
Écriture : Marine Lasbleis
Relecture scientifique : Stéphanie Durand et Mickaël Bonnin
Relecture de forme : Fanny Grisetto et Lucile Rey
Temps de lecture : environ 17 minutes.
Thématiques : Géophysique interne (Géologie)
Publication originale : Dziewonski A. M. & Anderson D. L., Preliminary reference Earth model. Physics of the earth and planetary interiors, 1981. DOI : 10.1016/0031-9201(81)90046-7
En sciences, alors que certains modèles deviennent obsolètes dès leur publication ou presque, d’autres semblent éternels. Le modèle PREM, pour modèle préliminaire de référence de la Terre, fait partie de la seconde catégorie. Ce modèle, pensé pour être préliminaire, fait pourtant figure de référence depuis 40 ans, à tel point qu’aucun autre modèle n’ose plus se prétendre être « de référence ».
Un modèle de quoi au juste ? Le modèle PREM, pour « Preliminary Reference Earth Model » ou « modèle préliminaire de référence de la Terre », est un modèle de la structure interne de notre planète, vue par les ondes sismiques. Il s’agit d’une représentation mathématique de ce qu’il y a à des milliers de kilomètres sous nos pieds. Elle fournit des profils de valeurs concernant l’évolution de la masse volumique et des propriétés des ondes sismiques en fonction du rayon de la Terre, en laissant de côté toutes les variations horizontales (celles qui dépendent de la latitude et de la longitude).
On représente souvent la Terre comme un oignon, c’est-à-dire comme la superposition de couches concentriques homogènes. Le modèle PREM donne les variations radiales de certains paramètres physiques au sein de chacune de ces couches. Il s’agit probablement de l’une des représentations de la Terre la plus utilisée en géophysique, depuis sa publication en 1981 par Dziewonski et Anderson. En effet, elle décrit le profil de densité à l’intérieur de la Terre. Connaître ce profil est important pour étudier aussi bien la Terre profonde que des sujets plus proches de nous tels que le champ de gravité terrestre, les marées, etc. Ce modèle dit préliminaire se révèle en fait être tellement robuste qu’il sert aussi de base pour l’étude des autres corps telluriques tels que la Lune et son « very » preliminary model [1], et participe à la prédiction de la structure interne des exoplanètes rocheuses [2].
Un peu d’histoire
Pour comprendre ça, remontons un peu le temps [3]. Au début du siècle dernier, on sait déjà différencier les signaux sismiques, et on connaît les principales couches qui constituent notre belle planète. Ces différentes couches, le noyau, le manteau, la croûte, ont été mises en évidence grâce aux propriétés des ondes sismiques qui se réfléchissent sur les interfaces entre chaque grande couche. Parmi ces couches, c’est la graine qui est mise en évidence le plus tardivement : ce n’est qu’en 1936, grâce aux travaux d’Inge Lehmann [4], une sismologue danoise, que l’on comprend que le noyau de la Terre est découpé en deux unités : la graine (ou noyau interne) et le noyau externe. Mais on se rend également compte, à cette même époque, qu’au sein même des principales couches il existe des variations des propriétés sismiques. Plusieurs équipes cherchent alors à décrire la Terre par des modèles simples. En 1949, Keith Bullen propose la division de l’intérieur de la Terre en sept « couches », désignées par les sept premières lettres de l’alphabet, A, B, C, …, G [5]. De cette nomenclature, on ne gardera plus tard que celle de la couche à la base du manteau, la couche D » (prononcé « dé-seconde »). Dans les années 60, l’arrivée des ordinateurs accélère soudainement la recherche en sismologie : les données sont traitées et partagées plus facilement. Établir un modèle complet de la Terre, ce qui était jusque-là inaccessible, devient un but en soi. Pendant l’assemblée générale de l’IUGG (Union Géodésique et Géophysique Internationale) de 1971 à Moscou, un comité du « standard Earth model » voit le jour à la suite de discussions. L’idée est de guider la création d’un modèle de référence de la structure interne de la Terre, qui sera accessible aux différents champs de recherche qui ont besoin de connaître la structure interne. Le modèle PREM, publié en 1981 par Dziewonski et Anderson, est l’aboutissement du travail de ce comité.
Un modèle en couches concentriques
Le modèle PREM, dans la lignée des recommandations du comité « standard Earth model », est un modèle paramétré. Qu’est-ce que cela signifie ? Que chaque propriété physique de chacune des enveloppes terrestres est modélisée par une fonction qui ne dépend que d’un petit nombre de paramètres. Afin d’estimer ces paramètres, le travail de Dziewonski et Anderson s’est déroulé en plusieurs étapes : (1) fixer les profondeurs de chacune des interfaces, (2) définir le type de fonction mathématique qui sera utilisée pour décrire les propriétés physiques dans chacune des couches et (3) obtenir les paramètres de chacune des fonctions qui, ensemble, permettent d’expliquer au mieux les données sismiques et géophysiques.
Les auteurs s’appuient sur des travaux précédents en sismologie pour définir les différentes grandes couches qu’ils cherchent à modéliser. Depuis la surface jusqu’au centre de la Terre, Dziewonski et Anderson ont ainsi défini plusieurs couches (Figure 1), dont on retiendra principalement :
- l’océan (non visible sur les modèles, car trop fin) ;
- la croûte terrestre (supérieure et inférieure) ;
- la région au-dessus de la LVZ (« low velocity zone ») qui correspond à ce que l’on appelle généralement la lithosphère. On la note ici LID ;
- la LVZ, une zone présentant une légère décroissance des vitesses sismiques. Cette décroissance est interprétée comme révélant la présence d’eau et/ou de roches mantelliques fondues en profondeur ;
- la zone de transition ;
- le manteau inférieur, subdivisé ensuite en 3 sous-régions ;
- le noyau externe ;
- la graine (ou noyau interne).
La croûte terrestre est loin d’être homogène : l’épaisseur de la croûte et la composition des roches au milieu d’un océan ou au sommet d’une montagne sont très différentes. De ce fait, on la distingue en croûte océanique et croûte continentale. Pourtant, dans le modèle PREM, la croûte terrestre est considérée comme une seule unité. En effet, les auteurs ont mis l’emphase sur la structure profonde de la Terre. Les auteurs ont ainsi choisi d’utiliser une croûte moyenne fictive de 19 km d’épaisseur, construite en pondérant les deux types de croûtes : la croûte océanique s’étendant jusqu’à environ 11 km de profondeur et qui représente environ ⅔ de la surface terrestre, et la croûte continentale s’étendant jusqu’à 35 km de profondeur.
Les données
Ce qui est compliqué dans l’établissement d’un modèle de référence, ce n’est pas seulement la construction du modèle, mais aussi la nécessité de s’accorder sur un jeu de données de référence qui servira à la construction d’un tel modèle. Or, de nouvelles données sismiques sont générées à la suite de chaque nouveau séisme. Construire un tel modèle a donc demandé à la communauté scientifique de s’accorder sur un jeu de données de référence. Le modèle généré n’est donc valide que vis-à-vis des données utilisées et pourrait être obsolète pour un autre jeu de données. Voyons maintenant quelles données ont été utilisées pour construire le modèle PREM.
Mais avant d’aller plus loin, savez-vous ce que l’on entend par données sismiques ? À chaque fois qu’un séisme se produit près de la surface, des ondes sismiques sont émises dans toutes les directions de l’espace. Des ondes dites de volume se propagent alors à l’intérieur de la Terre, traversent des milieux aux propriétés physiques différentes, jusqu’à être enregistrées par des stations sismiques. Ces ondes sont appelées ondes de volume car elles peuvent se propager dans la Terre profonde, par opposition aux ondes de surface qui n’échantillonnent que les premières centaines de kilomètres. La propagation de ces ondes obéit aux mêmes lois que, par exemple, la propagation de la lumière. Ainsi, lorsqu’elles rencontrent une interface séparant deux couches, comme entre la croûte et le manteau, elles sont en partie réfractées (elles traversent) et réfléchies (elles rebondissent), ce qui modifie leurs trajectoires (Figure 2). Deux types d’ondes de volume existent en fonction du mouvement induit : des ondes de compression dites ondes P et des ondes de cisaillement dites ondes S. Ces ondes de volume donnent accès aux propriétés élastiques en des endroits très précis du globe, là où l’onde sismique s’est propagée. Une propriété importante des ondes S est qu’elles ne se propagent pas dans les liquides : elles ne se propagent donc pas dans le noyau externe liquide !
Ce que l’on appelle donnée sismique est donc l’enregistrement des mouvements du sol en un point du globe, dans une station sismique. Sur ces enregistrements, on note les temps d’arrivée des différentes phases sismiques : des ondes qui se sont propagées avec des parcours différents, du fait des réfractions et des réflexions, mais qui arrivent au même endroit. Ces mesures nous permettent de calculer deux choses : le trajet de l’onde dans la Terre et les vitesses de propagation dans les différentes enveloppes qu’elle a traversées entre sa génération à l’épicentre du séisme et son enregistrement à la station. Ces vitesses de propagation nous donnent des informations clefs sur les propriétés élastiques des matériaux constituant l’intérieur de la Terre (ou plutôt, une moyenne apparente de ces propriétés le long du trajet de l’onde sismique).
Les enregistrements sismiques permettent aussi d’extraire un second type de données qui permet d’obtenir des informations sur la structure moyenne des couches terrestres. Ce sont les ondes sismiques à plus longue période, sensibles à des structures plus grandes. Ces ondes sont appelées oscillations libres de la Terre. Elles sont générées par les séismes de magnitude supérieure à 7, ceux qui font résonner la Terre comme une cloche pendant plusieurs jours [**]. L’amplitude et la fréquence de résonance de ces oscillations libres dépendent des propriétés internes de la Terre, et en particulier de la densité des matériaux. Certaines fréquences sont plus sensibles aux couches superficielles, tandis que d’autres sont sensibles aux couches plus profondes. En combinant toutes ces informations, cela permet d’obtenir des informations pour tout le volume de notre planète.
Enfin, le modèle PREM prend aussi en compte des données non sismiques : les paramètres orbitaux de la Terre, à savoir sa masse et son moment d’inertie. Ces deux paramètres sont bien contraints et doivent être retrouvés à partir du modèle PREM. Ils ont en outre permis aux auteurs d’estimer la valeur de la densité au centre de la Terre.
L’anisotropie sismique
Les ondes S et P décrites plus haut font vibrer les roches dans deux directions lors de leur propagation dans la Terre : horizontalement (ondes SH et PH) et verticalement (ondes SV et PV). Étonnamment, les temps de parcours des ondes de cisaillement SV et SH le long d’un même chemin sont parfois très différents, suggérant que la vitesse des ondes S varie selon la direction de propagation. Près de la surface, les ondes SH se propagent à des vitesses plus élevées que les ondes SV. On nomme cette observation anisotropie sismique radiale. Elle est grossièrement due au fait que la structure du manteau supérieur n’est pas homogène mais constituée de couches horizontales extrêmement fines (un peu comme une pile de crêpes). Dans le cadre de la réalisation d’un modèle radial moyen de la Terre, les temps de parcours des ondes SV et SH sont irréconciliables à moins d’introduire de l’anisotropie sismique dans le manteau supérieur. C’est l’un des apports fondamentaux du modèle PREM par comparaison aux modèles de la même époque, et qui a permis au modèle d’être aussi robuste par la suite.
Le modèle PREM
Le modèle PREM est construit de manière à trouver les vitesses des ondes et la densité des matériaux dans les différentes couches de la Terre qui expliquent les données enregistrées. Cette méthode, qui consiste à partir des données pour remonter jusqu’à un modèle, est appelée inversion. On dit que le modèle PREM est obtenu en inversant l’ensemble des données sismiques. Les propriétés physiques des matériaux présents dans chacune des couches sont décrites par un polynôme de degré maximum 3 [***]. À la manière d’une régression linéaire qui donne la meilleure droite qui traverse un nuage de points (sous la forme de deux coefficients : l’ordonnée à l’origine et la pente), l’inversion permet d’obtenir l’ensemble des paramètres qui minimisent l’écart entre les observations et les prédictions du modèle. La Figure 3 présente le modèle PREM, obtenu à partir des fonctions données dans la publication d’origine. À noter toutefois que cette figure se base sur les données pour une fréquence unique (1 Hz), elle serait modifiée pour des fréquences différentes (on appelle cette propriété la dispersion).
Le modèle PREM met en évidence la structure interne de notre planète : un noyau très dense au centre de 3 480 km de rayon et un manteau rocheux au-dessus. Il permet ainsi d’illustrer les connaissances sur la structure moyenne de la Terre. Le noyau est constitué majoritairement d’un alliage de fer et nickel (d’où sa densité très grande) subdivisé en deux unités : la graine solide (où peuvent se propager les ondes de cisaillement) et le noyau externe liquide (où la vitesse des ondes de cisaillement tombe à zéro). Le manteau terrestre est lui aussi constitué de plusieurs sous unités, séparées par des interfaces plus ou moins marquées.
Un zoom sur le manteau supérieur (Figure 4) permet de voir quelques propriétés intéressantes du modèle PREM, et en particulier l’anisotropie sismique dans la région située entre 24 et 220 km de profondeur, entre la croûte et la zone à faible vélocité sismique (« Low Velocity Zone »). On repère des sauts de vitesse sismique à 400 et 670 km : ces sauts sont liés à des changements de phase de l’olivine, mis en évidence par la géochimie et les expériences de déformation à haute pression [6, 7]. Attention, rappelez-vous que le modèle PREM est construit en moyennant la première centaine de kilomètres. Il ne permet donc pas de bien expliquer les temps d’arrivée des ondes aux stations trop proches de la source du séisme : ce n’est pas un modèle fiable pour des études locales ou même régionales !
Le modèle PREM et ses applications
Les profils de densité et des vitesses des ondes sismiques donnés par le modèle PREM nous donnent une multitude d’informations sur la structure interne de la Terre. Ce n’est pas le premier modèle de l’intérieur de la Terre, mais il est suffisamment polyvalent pour être utilisé dans tous les champs des sciences de la Terre et de l’Univers, ou presque. À partir du modèle PREM, on peut par exemple calculer la masse totale du noyau terrestre et du manteau terrestre, estimer la densité moyenne dans le noyau ou le manteau, calculer le profil de gravité moyen ou encore calculer la pression au centre de la Terre.
Le modèle PREM est aussi utilisé pour prédire des temps d’arrivée théoriques des ondes sismiques, ce qui permet d’étudier finement les écarts avec les temps d’arrivée réellement observés. En effet, comme le modèle PREM décrit une Terre moyenne, il permet de détecter et localiser (en profondeur) les zones s’éloignant de cette moyenne. Lorsqu’il existe un écart significatif entre les temps de trajet des ondes sismiques mesurés et prédits par le modèle PREM, cela implique que le modèle PREM est faux à cet endroit de la Terre. Ainsi, la vitesse des ondes doit être corrigée localement. En faisant ce travail sur un assez grand nombre de données, généralement des millions, il est possible de construire des modèles 3D des vitesses sismiques. Ces variations peuvent avoir de nombreuses causes. Le modèle PREM permet d’en éliminer deux des principales : les changements brutaux de composition (interfaces ou changements de phase) et l’augmentation de pression et de température avec la profondeur. Ainsi, les variations observées entre le modèle 3D et le modèle PREM reflètent des variations locales de température ou de composition, que l’on peut ensuite interpréter. Ces modèles 3D donnent les magnifiques images dites de tomographie sismique, le plus souvent représentées en coupe avec des échelles de couleur entre le bleu (vitesses grandes) et le rouge (vitesses faibles) (Figure 5). Pourquoi ce choix de couleur bleu et rouge ? Eh bien, l’interprétation la plus simple des variations de vitesses sismiques est celle d’une variation de température. Un matériel plus chaud est moins dense, les ondes sismiques s’y propagent donc moins vite, et les vitesses enregistrées sont ainsi plus faibles. Le raisonnement est symétrique pour un matériel froid, donc plus dense. Les ondes s’y propagent plus vite, et les vitesses mesurées sont plus grandes. Ainsi, les modèles en rouge et bleu peuvent être vus naïvement comme des variations de température (rouge : chaud ; bleu : froid). Les zones de subduction y sont ainsi visibles comme des plaques froides et bleues qui plongent dans le manteau.
[*] Les données de PREM sont disponibles sur IRIS et les figures ont été réalisées avec un script Python créé pour l’occasion et disponible ici.
[**] Visualisation des modes propres ici.
[***] Un polynôme de degré 3 s’écrit sous la forme et contient donc 4 paramètres : , , et .
[1] Garcia R. F., et al., Very preliminary reference Moon model. Physics of the Earth and Planetary Interiors, 2011. DOI : 10.1016/j.pepi.2011.06.015. [Publication scientifique]
[2] Zeng L., et al., Mass–radius relation for rocky planets based on PREM. The Astrophysical Journal, 2016. DOI : 10.3847/0004-637X/819/2/127. [Publication scientifique]
[3] Dziewonski A. M., & Romanowicz B. A., Deep Earth seismology: an introduction and overview. Treatise on Geophysics, 2015. DOI : 10.1016/B978-0-444-53802-4.00001-4. [Publication scientifique]
[4] Lehmann I., P’. Bureau Central Séismologique International Strasbourg : Publications du Bureau Central Scientifiques, 1936. [Extrait d’une publication scientifique]
[5] Bullen K. E., Compressibility‐pressure hypothesis and the Earth’s interior. Geophysical Journal International, 1949. DOI : 10.1111/j.1365-246X.1949.tb02952.x. [Publication scientifique]
[6] Ito E. & Takahashi E., Postspinel transformations in the system Mg2SiO4‐Fe2SiO4 and some geophysical implications. Journal of Geophysical Research: Solid Earth, 1989. DOI : 10.1029/JB094IB08P10637. [Publication scientifique]
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[8] Durand S., et al., Confirmation of a change in the global shear velocity pattern at around 1000 km depth. Geophysical Journal International, 2017. DOI : 10.1093/gji/ggx405. [Publication scientifique]
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