La cuisson des spaghetti : recette en trois étapes

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Écriture : Lucas Menou
Relecture scientifique : Morgan Ossola et Tristan Guyomar
Relecture de forme : Thibaud Revil et Aline Resch

Temps de lecture : environ 7 minutes.
Thématiques : Mécanique des matériaux (Physique)

Publication originale : Goldberg N. G. & O’Reilly O. M., Mechanics-based model for the cooking-induced deformation of spaghetti. Physical Review E, 2020. DOI : 10.1103/PhysRevE.101.013001

Crédit : Satyam Verma/Pexels

Spaghetti à la bolognaise, spaghetti à la carbonara (pecorino e guanciale, grazie), on connaît toutes et tous ces plats. Mais qu’en est-il de la cuisson de ces pâtes ? Et si on s’intéressait plus en détail aux différentes étapes de leur cuisson ? Est-il possible de prédire la déformation des spaghetti quand ils cuisent ?

Les spaghetti, vaste problème

Une pâte, un spaghetto, c’est simple ! De la farine de blé dur et de l’eau, le tout mélangé et séché en une forme de bâtonnet. Et pourtant, les scientifiques arrivent tout de même à se poser des questions dessus ! Il faut reconnaître que le spaghetto est intéressant du point de vue de ce que les physiciens et les mathématiciens appellent la mécanique. C’est une branche de la science qui étudie les mouvements et les déformations d’un solide ou d’un fluide en fonction des contraintes qu’il subit. 

En effet, un spaghetto, initialement sec, est relativement rigide et cassant. Pourtant, une fois cuit, il est souple et flexible ! Initialement raide comme un « i », il gît maintenant enroulé sur lui-même au fond de la casserole. Que s’est-il donc passé ? Qu’est ce qui régit la déformation des spaghetti au cours de leur cuisson ? Eh bien, voilà une belle problématique de chimiste/mécanicien⋅ne ! On se propose d’y répondre à travers l’étude de la publication récente de Nathaniel Goldberg.

D’un point de vue chimique, la pâte est en fait un réseau de protéines dans lequel est emprisonné de l’amidon. Imaginons que nous faisons cuire une pâte. Initialement, elle est rigide et droite comme un poteau « Stationnement interdit ». Puis, le temps avançant, elle fléchit et commence progressivement à se déposer au fond de la casserole avant de se recourber sur elle même (Figure 1). La pâte est cuite !

Rectangle représentant une casserole et trait jaune oblique représentant un spaghetto en travers de la casserole. Au stade initial, le chronomètre est à zéro, le spaghetto est un trait . Le temps avance, stade flexion, le trait jaune se courbe légèrement. Le temps avance, stade affaissement, la courbure s'accentue au niveau du fond de la casserole. Le temps avant, stade recourbement, le spaghetto est quasiment totalement horizontal au niveau du fond, avec la partie initialement la plus haute qui est recourbée.
Figure 1. Les trois étapes de cuisson d’une pâte au cours du temps, symbolisé par le minuteur.

Cette première observation nous permet donc de resserrer notre problématique (un·e bon·ne scientifique restreint toujours les problèmes) : pourquoi ces trois étapes ? 

Formulons une hypothèse : on peut imaginer que, la nouille se ramollissant par le bas, sa base s’affaiblit et la pâte ploie alors sous l’effet de la gravité. Cette hypothèse paraît raisonnable non ? La problématique et l’hypothèse étant posées, il nous faut maintenant la vérifier par une expérience. Ce midi, c’est spaghetti ! Mais gardant en tête notre questionnement, sortons une pâte du bain bouillonnant avant qu’elle ne soit totalement immergée. 

Selon notre hypothèse, si on la pose sur la table, le bas devrait être cuit et collé à la nappe et le reste de la pâte sec et rigide. En d’autres termes, le bas de la nouille doit être souple mais pas le haut. Et pourtant, à notre grand étonnement, la pâte reste en réalité courbée quand on la sort de l’eau et ne pend pas nonchalamment vers le bas immédiatement à la sortie. Plus étonnant encore, la courbure persiste si on laisse la pâte sécher sur la table. La pâte ne retourne pas à l’état « Poteau stationnement interdit ». Puisque la pâte reste courbée et en partie rigide même pour la partie immergée, cela veut dire que l’intérieur de la pâte est restée en partie sec et que seul l’extérieur est bien cuit. En effet, l’eau bouillante ne pénètre pas instantanément au cœur de la nouille, il faut attendre un temps plus long pour voir le bas du spaghetto entièrement cuit. Donc, le processus de cuisson en trois étapes est plus complexe qu’il n’y paraît. 

Des scientifiques se sont amusé·e·s, et ont étudié la cuisson des spaghetti [1-5]. Ces études montrent que la température des nouilles atteint en quelques microsecondes la température de l’eau environnante (même au cœur de la pâte !). Cependant, la pâte n’est pas considérée comme cuite lorsqu’elle atteint une certaine température mais quand elle est hydratée à cœur. Dans l’eau bouillante, cela prend de 7 à 11 minutes (selon les goûts… mais n’allons pas sur ce terrain glissant !).

L’absorption de l’eau de l’extérieur vers l’intérieur de la pâte se fait par un processus complexe de diffusion qui dépend de la structure interne de la pâte elle même. Cette hydratation, qui s’accompagne d’une dissolution minime d’amidon et que l’on dessine en Figure 2, entraîne un changement de texture interne de la nouille.

Rond central violet avec le texte "Hydraté". Au coeur de ce rond, une forme vaguement ronde et jaune "Sec". La frontière entre les deux : "Frontière mobile d'hydratation". Des petites flèches vont du violet vers le jaune. Une flèche va du violet vers l'extérieur "Dilatation". 3 flèches noires courbes vont de l'extérieur vers le violet : "Absorption d'eau". 3 flèches jaunes courbes vont du violet vers l'extérieur : "Dissolution d'amidon".
Figure 2. Schéma en section d’un spaghetto au cours d’une cuisson. De l’amidon se dissout en partie dans l’eau environnante qui hydrate la nouille. Cette hydratation induit une dilatation de la pâte.

Ce changement de texture interne est en fait primordial pour expliquer le déroulement en trois étapes de la cuisson du spaghetto. Le réseau de protéines se réarrange, et ainsi, la nouille se dilate tout en cuisant. Plus singulièrement, sa rigidité (la facilité que l’on a à tordre la nouille) s’affaiblit. Il est de plus en plus facile de tordre la nouille au cours du temps. Et de la même manière, le spaghetto s’allonge. En résumé, la pâte ne cuit pas simplement par le bas, elle s’assouplit par le bas. Mais qu’en est-il de cet assouplissement ?

L’assouplissement, c’est plus facile quand on est souple !

En mécanique, il existe une quantité particulièrement intéressante à calculer : le moment, c’est à dire l’aptitude d’une force à faire tourner un objet autour d’un point. La prochaine fois que vous visserez quelque chose à l’aide d’une clé plate, vous pourrez vous dire que vous créez un moment par rapport au point de référence fixe du centre de l’objet vissé (soyons physiquement précis !). 

Revenons à nos spaghetti en train de cuire. Concentrons-nous sur un spaghetto seul, c’est plus simple. Conformément à ce que nous venons de dire, il est alors possible de calculer le moment de la force de gravité au cours de la cuisson, en sachant que la rigidité diminue. C’est-à-dire que l’on détermine la facilité avec laquelle la gravité fait ployer le spaghetto sur lui-même. Or, ce moment est d’autant plus grand que la courbure est grande. Et comme le spaghetto s’assouplit avec le temps, il se courbe de plus en plus sous son poids, et comme il se courbe de plus en plus, le moment subi est de plus en plus important. Il est alors de plus en plus facile de courber le spaghetto au cours de la cuisson. Le point important ici c’est que puisque le spaghetto cuit, il s’assouplit. Mais puisqu’il s’assouplit, il est aussi encore plus facile de l’assouplir à nouveau. En d’autres termes, la courbure du spaghetto au cours de la cuisson croît d’autant plus vite que la courbure est grande. C’est là le phénomène amusant de la cuisson des spaghetti (du moins pour le modeste auteur de cet article…) !

Il est alors possible de s’amuser encore plus, en calculant et en déterminant l’état des spaghetti — leur courbure — au cours des différentes étapes de la cuisson, ce que les auteurs de la publication originale ont réalisé. Les résultats des chercheurs permettent alors de décomposer physiquement ce que l’on observait dans la casserole en Figure 1 et de distinguer exactement les trois étapes. Pendant la première étape en flexion, seuls deux points de contact existent entre la casserole et la nouille. Durant la seconde étape en affaissement, la moitié inférieure de la nouille repose au fond de la casserole et la moitié supérieure reste courbée. Et enfin, pendant la troisième étape en recourbement, la nouille se recourbe sur elle-même (Figure 3).

Même figure que la figure 1. Les extrémités du spaghetto sont notées "A" en bas et "B" en haut. La distance entre B et le fond de la casserole "H". Les points limites sont les points entre la courbure et la partie du spaghetto qui longue le bord de la casserole.
Figure 3. Les différentes morphologies d’un spaghetto au cours de sa cuisson. Le temps est symbolisé par le minuteur. Une première hydratation permet au spaghetto de fléchir sous son propre poids (Flexion). Cette première courbure augmentant le moment subi, la pâte se courbe de plus en plus jusqu’à se déposer en partie au fond de la casserole (Affaissement). La pâte s’affaisse de plus en plus jusqu’à boucler sur elle-même (Recourbement). On souligne en vert la hauteur de contact de la pâte sur le bord droit de la casserole qui diminue avec le temps. On note aussi l’apparition de points limites de contact secondaires (A’ et B’), en plus des deux points de contact primaires (A et B), due à la courbure de plus en plus importante de la pâte. L’apparition de ces points de contacts secondaires définit les étapes successives de cuisson.

La recette en trois étapes

La cuisson des spaghetti, c’est un peu plus complexe qu’il n’y paraît ! En résumé, la courbure initiale des pâtes due à leur hydratation première leur permet ensuite de boucler sur elles-mêmes. Et ce bouclage se fait en trois étapes, à cause de l’évolution de leur rigidité et de leur texture au cours du temps. Peut-être serait-il même possible, en considérant la courbure de la pâte, de déterminer son état de cuisson ? 

Bon, restons modestes, vous, moi et les auteurs de la publication originale n’avons pas non plus tout compris. Nous n’avons pas parlé de friction ni d’adhésion sur les bords de la casserole quand le spaghetto cuit. Le spaghetto est, de plus, tout seul dans sa casserole contrairement à la préparation d’un repas classique. Or, la mécanique de la cuisson est certainement plus complexe si les spaghetti s’enchevêtrent. D’autre part, on considère (cela se voit sur les schémas) que le spaghetto ploie dans un mouvement restreint à deux dimensions : un plan (celui de la feuille sur notre schéma), et qu’il ne penche ni vers nous ni derrière, pour distinguer nos trois étapes. Or, dans la casserole, le spaghetto cuit en trois dimensions ! Finalement, Nathaniel Goldberg et ses collègues n’ont posé que la première pierre du magnifique édifice de la compréhension de la cuisson des spaghetti !

On reste souvent dans des cas idéaux quand on fait de la science. Les chercheur·ses ne retiennent d’abord que les phénomènes ou les facteurs principaux qui influencent une expérience afin d’en comprendre les résultats de manière simple. C’est le but de la modélisation. Il est toujours possible de complexifier par la suite lorsque la base est maîtrisée ! Nous pourrions également discuter des expériences réalisées par les chercheurs et chercheuses pour déterminer l’évolution de la texture et de la rigidité du spaghetto isolé. Si cela vous intéresse, allez donc voir la version approfondissement !


[1] Del Nobile M. A. & Massera M., A method to evaluate the extent of residual deformations in dry spaghetti. Journal of Food engineering, 2002. DOI : 10.1016/S0260-8774(02)00081-X. [Publication scientifique]

[2] Bernin D., et al., Multi-scale characterization of pasta during cooking using microscopy and real-time magnetic resonance imaging. Food Research International, 2014. DOI : 10.1016/j.foodres.2014.09.007. [Publication scientifique]

[3] Del Nobile M. A. & Massera M., Modeling of Water Sorption Kinetics in Spaghetti During Overcooking. Cereal Chemistry, 2000. DOI : 10.1094/CCHEM.2000.77.5.615. [Publication scientifique]

[4] Hills B. P., et al., Radial NMR microimaging studies of the rehydration of extruded pasta. Journal of Food engineering, 1996. DOI : 10.1016/0260-8774(94)00081-J. [Publication scientifique]

[5] Horigane A. K., et al., Moisture Distribution and Diffusion in Cooked Spaghetti Studied by NMR Imaging and Diffusion Model. Cereal Chemistry, 2006. DOI : 10.1094/CC-83-0235. [Publication scientifique]


Écriture : Lucas Menou
Relecture scientifique : Morgan Ossola et Tristan Guyomar
Relecture de forme : Thibaud Revil

Temps de lecture : environ 10 minutes.
Thématiques : Mécanique des matériaux (Physique)

Publication originale : Goldberg N. G. & O’Reilly O. M., Mechanics-based model for the cooking-induced deformation of spaghetti. Physical Review E, 2020. DOI : 10.1103/PhysRevE.101.013001

Crédit : Satyam Verma/Pexels

Spaghetti à la bolognaise, spaghetti à la carbonara (pecorino e guanciale, grazie), on connaît toutes et tous ces plats. Mais qu’en est-il de la cuisson de ces pâtes ? Et si on s’intéressait plus en détail aux différentes étapes de leur cuisson ? Est-il possible de prédire la déformation des spaghetti quand ils cuisent ?

Un problème plus complexe qu’il n’y paraît

Aaah, les spaghetti, ce n’est pas forcément diététique mais tellement simple à faire quand on est pris au dépourvu. On en a tous mangé au moins une fois. Eh bien ! La mécanique des spaghetti, de la cuisson à leur ingestion, a capté l’attention de nombreux chercheurs et chercheuses. Vous rappelez-vous les courses d’aspiration de pâtes à la cantine ? Saviez-vous qu’il est impossible de casser un spaghetto sec et cru en deux morceaux si on ne le déforme que par ses extrémités ? Qu’en est-il de la rupture d’un spaghetto à moitié cuit ? D’ailleurs, partant de tiges cassantes, on obtient après cuisson des pâtes flexibles. Cuites trop longtemps, elles finissent même par se désagréger. Pourquoi cette transformation étonnante ? Ce sont autant d’interrogations qui ne sont pas si anecdotiques au regard de la physique, des mathématiques et de la chimie déployées pour y répondre. 

Dans cet article, plutôt que de jouer avec les spaghetti et de les casser dans tous les sens (oui, c’est mal vu apparemment…), nous allons suivre les interrogations et le raisonnement des auteurs de la publication originale : qu’est-ce qui régit la déformation des spaghetti au cours de leur cuisson ? 

Tout d’abord, qu’est ce qu’un spaghetto ? C’est une pâte : un mélange de farine de blé dur et d’eau, séché en forme de bâtonnet. À l’échelle moléculaire, la pâte est en fait un réseau de protéines dans lequel est emprisonné de l’amidon

Maintenant que l’on est un peu plus au fait de la nature des pâtes, démarrons notre étude. On remplit la casserole d’eau, on sale, on porte à ébullition et on ébouillante méchamment les spaghetti ! Portons notre attention sur une seule de ces pâtes. Initialement, elle est rigide et droite comme un poteau « Stationnement interdit » puis, le temps avançant, elle fléchit puis commence progressivement à se déposer au fond de la casserole avant de se recourber sur elle même (Figure 1). La pâte est cuite ! 

Et pourtant, impossible de la manger… Une problématique majeure (bon d’accord, peut-être pas si majeure…) s’impose à nous ! Pourquoi ces trois étapes ? On peut imaginer que, la nouille se ramollissant par le bas, sa base s’affaiblit et la pâte ploie alors sous l’effet de la gravité. Cette hypothèse paraît raisonnable non ? La problématique étant posée et l’hypothèse formulée, il nous faut maintenant la vérifier par une expérience. Ce midi, c’est spaghetti ! Mais gardant en tête notre problème, au cours de la cuisson et avant qu’une pâte ne soit totalement immergée, sortons-là du bain bouillonnant.

Rectangle représentant une casserole et trait jaune oblique représentant un spaghetto en travers de la casserole. Au stade initial, le chronomètre est à zéro, le spaghetto est un trait . Le temps avance, stade flexion, le trait jaune se courbe légèrement. Le temps avance, stade affaissement, la courbure s'accentue au niveau du fond de la casserole. Le temps avant, stade recourbement, le spaghetto est quasiment totalement horizontal au niveau du fond, avec la partie initialement la plus haute qui est recourbée.
Figure 1. Les trois étapes de cuisson d’une pâte au cours du temps, symbolisé par le minuteur

Selon notre hypothèse, si on la pose sur la table, le bas devrait être cuit et collé à la nappe et le reste de la pâte, sec et rigide. En d’autres termes, le bas de la nouille doit être souple mais pas le haut. Et pourtant, à notre grand étonnement, la pâte reste en réalité courbée quand on la sort de l’eau et ne pend pas nonchalamment vers le bas immédiatement à la sortie. Plus étonnant encore, la courbure persiste si on laisse la pâte sécher sur la table. La pâte ne retourne pas à l’état « Poteau stationnement interdit ». Puisque la pâte reste courbée et en partie rigide même pour la partie immergée, cela veut dire que l’intérieur de la pâte est restée en partie sec et que seul l’extérieur est bien cuit. En effet, l’eau bouillante ne pénètre pas instantanément au cœur de la nouille, il faut attendre plus longtemps pour voir le bas du spaghetto entièrement cuit. Eh bien ce midi, ce n’est pas spaghetti, c’est bibliographie ! 

Une large gamme d’études expérimentales existe concernant la cuisson des spaghetti [1-5]. Ces dernières montrent que la température des nouilles (même à cœur) atteint en quelques microsecondes la température de l’eau environnante. Cependant, l’eau imbibe annulairement le spaghetto selon un processus complexe de diffusion, qui dépend de la structure interne de la pâte elle-même. Cette diffusion se fait sur un temps beaucoup plus long, 7 à 11 minutes selon les goûts (attention sujet délicat !). La pâte est cuite quand elle est, de fait, hydratée à cœur. Cette hydratation, qui s’accompagne d’une dissolution minime d’amidon et que l’on dessine en Figure 2, entraîne un changement de texture interne de la nouille.

Rond central violet avec le texte "Hydraté". Au coeur de ce rond, une forme vaguement ronde et jaune "Sec". La frontière entre les deux : "Frontière mobile d'hydratation". Des petites flèches vont du violet vers le jaune. Une flèche va du violet vers l'extérieur "Dilatation". 3 flèches noires courbes vont de l'extérieur vers le violet : "Absorption d'eau". 3 flèches jaunes courbes vont du violet vers l'extérieur : "Dissolution d'amidon".
Figure 2. Schéma en section d’un spaghetto au cours d’une cuisson. De l’amidon se dissout en partie dans l’eau environnante qui hydrate la nouille. Cette hydratation induit une dilatation de la pâte. La frontière mobile non circulaire schématise ici la relative complexité du processus d’hydratation.

De fait, les propriétés physiques et chimiques de la pâte s’en trouvent modifiées, et plus particulièrement sa longueur, son diamètre (la pâte gonfle), son module élastique ainsi que sa masse linéique. Des chercheurs ont réalisé des mesures expérimentales de masse, de diamètre et de longueur de spaghetti « cuisant » dans une eau à 20°C non salée [3]. Oui, bon, personne ne mange de spaghetti cuits à température ambiante. Mais, là, on ne fait plus de la cuisine, on fait de la science physique. Et en science physique, il faut contrôler tous les paramètres d’une expérience (y compris la température d’hydratation). Par dessus le marché, c’est mieux d’en obtenir des données exploitables. Or, filmer des spaghetti qui cuisent dans de l’eau bouillante ne permet pas d’obtenir facilement des données exploitables (Ha… il y a de la buée sur l’objectif de la caméra…). Il n’est pas non plus aisé de maintenir constante la température d’une eau à ébullition. Les remous de cette même eau rendent compliquées les mesures d’une déformation robuste et répétitive ainsi que celles des paramètres à l’étude. Aussi, dans cette dernière étude [3], les spaghetti sont hydratés à 20°C, l’hydratation jouant le rôle prépondérant pour la déformation que l’on se propose d’étudier. On les donnera à la Belle et au Clochard une fois l’expérience finie. Par ailleurs, le processus de déformation en eau chaude semble très similaire à celui observé en eau froide. Pourquoi se compliquerait-on la vie ? 

Il est donc possible, avec ces paramètres expérimentaux , de déterminer approximativement une évolution temporelle des paramètres pré-cités et c’est justement ce que les auteurs de la publication originale ont fait. Les résultats obtenus sont présentés Figure 3. La complexité des courbes que l’on déduit témoigne de la complexité physico-chimique du processus de cuisson !

4 graphiques, précisions en légende. a) courbe qui commence à l'origine et augmente avec un plateau puis réaugmente et descend. b) courbe horizontale au début qui augmente progressivement et atteint un plateau. c) courbe qui décroît progressivement et atteint un plateau. d) courbe qui commence à l'origine et augmente puis descend avant de réaugmenter.
Figure 3. Évolution temporelle approximative a) du diamètre d’une pâte, b) de sa longueur (son élongation étant rapportée sur la longueur initiale du spaghetto), c) de son module d’élasticité ainsi que d) de sa masse linéique. La relative complexité de ces courbes souligne la complexité du mécanisme physico-chimique à l’œuvre pour la réorganisation de la texture interne de la nouille au cours de la cuisson. Note : les valeurs données sur ces courbes sont tendancielles et non exactes. Elles ne sont pas issues de véritables expériences et de calculs scientifiques mais plutôt adaptées pour apprécier l’évolution des différents paramètres d’intérêts. En fait, on trace ici l’évolution qualitative des différents paramètres par opposition à une évolution quantitative. Les données quantitatives exactes sont présentées dans la publication originale.

Étude mécanique du processus de cuisson

On connaît donc grossièrement l’évolution temporelle des caractéristiques physiques et macroscopiques d’un spaghetto à tout instant de la « cuisson » à 20°C. Le spaghetto reposant dans la casserole remplie d’eau, les forces de réaction sur les bords de la casserole et la poussée d’archimède compensent son poids : il est à tout instant à l’équilibre. Dans cette expérience, la gravité joue le rôle prépondérant pour la déformation du spaghetto. Du fait de la situation d’équilibre, on peut donc appliquer à tout instant le Principe Fondamentale de la Statique dans le référentiel de la casserole (ou référentiel terrestre considéré comme galiléen pour la durée de l’expérience, pour être plus scientifique). Mais attention, en l’appliquant, il faut tenir compte de l’évolution temporelle des paramètres tracés en Figure 3. Ce faisant, il est possible de déterminer à chaque instant, le moment de la force de gravité en tout point de la pâte. 

On sait aussi que ce moment est d’autant plus grand que la courbure est grande. Comme ce moment dépend de la courbure de la nouille, la connaissance du moment en chaque instant permet donc de connaître la courbure de la nouille en chaque instant. Cette détermination de la courbure de la nouille dépend en fait des conditions antérieures. En d’autres termes, on réalise que puisque l’on connaît l’état de la nouille un peu avant, et que l’on connaît l’évolution de ses paramètres physico-chimiques, on peut déterminer le nouvel état d’équilibre à partir de l’ancien, et répéter le processus. On obtient donc au fur et à mesure la forme de la nouille au cours du temps !

Les auteurs de la publication ont utilisé ici la méthode d’Euler, une technique calculatoire très utilisée en physique, en mathématiques, en chimie, et même parfois en biologie. Elle fut introduite par le fameux mathématicien du même nom, Leonhard Euler. Supposons qu’à l’instant initial, la nouille repose diagonalement dans une haute casserole, immergée avec exactement deux points de contact, un premier au fond de la casserole et un second sur le côté (Figure 4), la pâte raide comme un poteau de stationnement. On peut donc dire qu’au delà d’une certaine hydratation, sous l’effet de la gravité et son module d’élasticité diminuant, un nouvel état d’équilibre est atteint et la nouille se courbe. Si la nouille se courbe, le processus d’hydratation diffère légèrement et le moment subit est plus important. Il est donc encore plus facile de courber la nouille et ainsi de suite. La nouille se courbe de plus en plus jusqu’à cuisson complète. Avec les outils technologiques actuels, il n’est pas nécessaire de déterminer pas à pas tous les états mécaniques de la nouille à la main. Pour cela, on va préférer utiliser les outils de résolution numérique d’équations différentielles ordinaires assistée par ordinateur. De gros mots pour dire que la méthode d’Euler est réalisée par ordinateur. Les résultats des chercheurs permettent dès lors distinguer trois étapes de cuisson du spaghetto, qui correspondent justement à ce que l’on observait dans notre casserole (Figure 1) ! Une première étape en flexion où seul deux points de contact existent entre la casserole et la nouille. Une seconde étape en affaissement, où la moitié inférieure de la nouille repose au fond de la casserole et où la moitié supérieure reste courbé. Et enfin, une troisième étape en recourbement où la nouille se recourbe sur elle même (Figure 4). Maintenant, il faut vérifier tout ça par une expérience. Mais notre modèle semble cohérent !

Même figure que la figure 1. Les extrémités du spaghetto sont notées "A" en bas et "B" en haut. La distance entre B et le fond de la casserole "H". Les points limites sont les points entre la courbure et la partie du spaghetto qui longue le bord de la casserole.
Figure 4. Les différentes morphologies d’un spaghetto au cours de sa cuisson dans une eau à 20°C. Le temps est toujours symbolisé par le minuteur. Une première hydratation permet au spaghetto de fléchir sous son propre poids (Flexion). Cette première courbure augmentant le moment subit, la pâte se courbe de plus en plus jusqu’à se déposer en partie au fond de la casserole (Affaissement). La pâte s’affaisse de plus en plus jusqu’à boucler sur elle-même (Recourbement). Cet affaissement caractéristique en trois étapes du spaghetto dépend fortement des paramètres physiques tracés en Figure 3, et plus particulièrement de son module d’élasticité. On souligne en vert la hauteur de contact de la pâte sur le bord droit de la casserole qui diminue avec le temps. On note aussi l’apparition de points limites de contact secondaires (A’ et B’), en plus des deux points de contact primaires (A et B) due à la courbure de plus en plus importante de la pâte. L’apparition des ces points de contacts secondaires définit les étapes successives de cuisson.

La recette en trois étapes

La cuisson des spaghetti c’est un peu plus complexe qu’il n’y paraît ! En résumé, la courbure initiale des pâtes due à leur hydratation première leur permet ensuite de boucler sur elles-mêmes. Et ce bouclage se fait en trois étapes à cause de l’évolution de leur rigidité et de leur texture au cours du temps. Peut-être serait-il même possible, en considérant la courbure de la pâte, de déterminer son état de cuisson ?

Bon, restons modestes. Vous, moi, les auteurs de l’article et la communauté scientifique n’avons pas non plus tout compris. Nous n’avons pas parlé de friction ni d’adhésion sur les bords de la casserole quand le spaghetto glisse sur la surface de droite de la casserole. D’autre part, on considère (cela se voit sur les schémas) que le spaghetto est tout seul dans la casserole, ploie dans un mouvement restreint à un plan (celui de la feuille sur notre schéma) et ne penche ni vers nous ni derrière. Et que dire de la cuisson d’une pâte à 20°C ? Est-ce réellement la même chose ? Des chercheurs ont montré que, quand la cuisson d’une pâte se fait dans une eau dont la température est supérieure à 50°C, en plus de constater une dissolution de quelques molécules d’amidon, il se produit aussi une gélatinisation (ou coagulation) de la structure. Ce processus de gélatinisation est, de plus, fortement influencé par la salinité de l’eau [6, 7] ! Aussi, la prise en compte de la gélatinisation au cours de la cuisson, en plus de l’hydratation, peut modifier l’allure des graphes en Figure 3, dont les auteurs de la publication se sont servis pour déterminer la courbure de la nouille à tout instant de la cuisson. Finalement, Nathaniel Goldberg et ses collègues n’ont posé que la première pierre du magnifique édifice de la compréhension de la cuisson des spaghetti ! Bon… on a des patates ? 


[1] Del Nobile M. A. & Massera M., A method to evaluate the extent of residual deformations in dry spaghetti. Journal of Food engineering, 2002. DOI : 10.1016/S0260-8774(02)00081-X. [Publication scientifique]

[2] Bernin D., et al., Multi-scale characterization of pasta during cooking using microscopy and real-time magnetic resonance imaging. Food Research International, 2014. DOI : 10.1016/j.foodres.2014.09.007. [Publication scientifique]

[3] Del Nobile M. A. & Massera M., Modeling of Water Sorption Kinetics in Spaghetti During Overcooking. Cereal Chemistry, 2000. DOI : 10.1094/CCHEM.2000.77.5.615. [Publication scientifique]

[4] Hills B. P., et al., Radial NMR microimaging studies of the rehydration of extruded pasta. Journal of Food engineering, 1996. DOI : 10.1016/0260-8774(94)00081-J. [Publication scientifique]

[5] Horigane A. K., et al., Moisture Distribution and Diffusion in Cooked Spaghetti Studied by NMR Imaging and Diffusion Model. Cereal Chemistry, 2006. DOI : 10.1094/CC-83-0235. [Publication scientifique]

[6] Lund D. & Lorenz K. J., Influence of time, temperature, moisture, ingredients, and processing conditions on starch gelatinization. Crit. Rev. Food Sci. Nutr., 1984. DOI : 10.1080/10408398409527391. [Publication scientifique]

[7] Sözer N. & Kaya A., Changes in cooking and textural properties of spaghetti cooked with different levels of salt in the cooking water. Journal of texture studies, 2003. DOI : 10.1111/j.1745-4603.2003.tb01070.x. [Publication scientifique]


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