Cet article a été traduit depuis le site Envirobites
Écriture (anglais) : Mary Grace Lemon
Traduction : Lucile Rey
Relecture scientifique : Audrey Denizot
Relecture de forme : Eléonore Pérès
Difficulté :
Temps de lecture : environ 8 minutes.
Thématique : Biologie végétale (Biologie)
Publication originale : Fan Y., et al., Hydrologic regulation of plant rooting depth. PNAS, 2017. DOI : 10.1073/pnas.1712381114
Profondeur d’enracinement
Vous n’y avez probablement jamais pensé, mais la profondeur que les plantes sont capables d’atteindre dans le sol pour trouver de l’eau (la profondeur d’enracinement) est quelque chose d’extrêmement important dans la compréhension des cycles mondiaux du carbone et de l’eau [*]. C’est, en d’autres termes, la limite maximale que les plantes peuvent atteindre pour trouver des sources d’eau dans les climats secs ou les périodes de sècheresse. Or, si les arbres ne peuvent pas trouver de source d’eau pour boire ou transpirer, ils réduisent leur taux de photosynthèse [**]. Ceci les conduit alors à absorber moins de carbone et à libérer moins d’eau, ce qui pourrait affecter les conditions climatiques futures. Ainsi, mieux connaître les racines et leur distribution dans le sol nous permettrait de mieux estimer le climat global futur.
Malheureusement, les racines sont souterraines et donc extrêmement difficiles à observer par rapport à d’autres parties de la plante comme la surface de la feuille, la hauteur ou l’âge des arbres. L’examen de la profondeur des racines nécessite des excavations, qui sont traumatisantes pour les plantes. Toutefois, ces excavations, faisables pour des petites plantes ou des arbustes, sont inenvisageables sur des arbres. Ils sont en effet si grands qu’obtenir par excavation une taille d’échantillon suffisamment robuste pour étudier leur profondeur d’enracinement est extrêmement long et coûteux. Certains chercheurs profitent donc des arbres renversés par des tempêtes, alors que d’autres utilisent des données d’arbres devant être déracinés pour d’autres raisons (chantier de construction par exemple). Pourtant et malgré l’existence de ces approches opportunistes, très peu d’observations de profondeur d’enracinement d’arbres ont été collectées, et encore moins provenant de zones climatiques diversifiées. Notre compréhension des facteurs qui contrôlent la profondeur d’enracinement n’en est donc qu’à ses balbutiements.
Comment faire pour étudier la profondeur d’enracinement ?
Les scientifiques cherchent à identifier les facteurs environnementaux qui peuvent expliquer la variabilité de la profondeur d’enracinement. Déterminer ce qui influence le comportement des racines pourrait alors leur permettre d’améliorer les estimations de cette variabilité à l’échelle du globe. Ces informations pourront ensuite être utilisées afin d’améliorer les modèles de flux de carbone et d’eau du système terrestre.
Des études précédentes qui ont tenté de résumer les observations de profondeur d’enracinement ont conclu que le climat et le type de sol sont deux facteurs importants : le climat est un prédicteur à grande échelle de la quantité de pluie qui tombe dans une région donnée ; le type de sol détermine la facilité avec laquelle l’eau peut s’y infiltrer à la suite d’une pluie. Le type de sol impacte aussi la distance que l’eau parcourt depuis les nappes phréatiques vers la surface. Ceci se déroule grâce à un processus appelé remontée capillaire, causé par la pression d’aspiration des pores du sol : l’eau remonte par capillarité (voir Figure 1 pour plus d’explications sur l’effet de la texture du sol). La remontée capillaire est plus importante dans les sols à texture fine que dans les sols à texture grossière. De plus, l’eau peut s’infiltrer plus profondément dans les sols à texture grossière par rapport aux sols à texture fine. Ces deux caractéristiques, le climat et le type de sol, jouent donc tous deux un rôle dans le contrôle de la quantité d’eau disponible pour les racines des plantes.
Cependant, un nouvel article de Ying Fan et ses collaborateurs, paru en 2017, montre que l’histoire n’est pas complète. Par exemple, on pourrait supposer que les racines les plus profondes se trouvent dans le désert et les moins profondes dans les zones tropicales humides. En fait, des observations sur le terrain ont montré que les racines les moins profondes et les plus profondes se trouvent toutes dans les déserts. Comment est-ce possible ? Ying Fan et ses collaborateurs ont montré que, bien que le climat et le type de sol influencent tous deux la profondeur d’enracinement des plantes, le prédicteur le plus fort est en fait la profondeur des nappes phréatiques (Figure 2).
Qu’est-ce que la profondeur des nappes phréatiques ? Il s’agit de la distance entre la surface du sol et la profondeur du sol à laquelle tous ses pores sont remplis d’eau (saturés en eau). L’étude démontre que la profondeur de la nappe phréatique est un indicateur de la topographie ou de l’altitude : les terres les plus élevées et bien drainées possèdent des nappes phréatiques profondes, et les terres les plus basses possèdent des nappes phréatiques plus proches du sol (plus petite profondeur) (Figure 3). Le climat joue aussi un rôle important dans le contrôle de la profondeur d’enracinement puisqu’il détermine largement la profondeur à laquelle la pluie peut s’infiltrer dans le sol, en définissant la quantité totale de pluie annuelle. Les auteurs de la publication proposent que, plus que l’importance du type de sol, le climat et la profondeur des nappes phréatiques sont les principaux responsables du comportement d’enracinement. Pour étudier cela, ils ont utilisé une technique de modélisation informatique dans laquelle ils ont calculé le profil d’approvisionnement en eau du sol dû aux précipitations et à l’évapotranspiration, et dû à la topographie et la texture des sols. Ils ont ensuite confronté leur modèle aux observations sur le terrain, pour s’assurer de sa validité.
Interaction entre climat et profondeur des nappes phréatiques
L’étude de Ying Fan et de ses collaborateurs suggère que le comportement d’enracinement est une réponse à la fois à la profondeur d’infiltration et à la remontée capillaire. Dans les climats désertiques, les plantes peuvent avoir des racines superficielles ou profondes en fonction de la topographie (Figure 4). Les racines des plantes situées sur des terres désertiques de faible altitude sont peu profondes puisque les nappes phréatiques le sont aussi, et ce malgré un faible taux de pluie. Les racines des terres plus hautes sont également superficielles, puisque les nappes phréatiques sont trop profondes pour pouvoir être atteintes. Entre ces deux cas extrêmes se situent les plantes dimorphiques (qui possèdent à la fois des racines superficielles et profondes). Elles sont capables de profiter de l’humidité provenant de la pluie quand elle est disponible, mais aussi de se servir des ressources en eaux souterraines lors de périodes de sécheresse prolongées. Les racines des plantes qui vivent dans des climats arides de façon saisonnière sont superficielles ou dimorphiques en faible altitude. En haute altitude, leur comportement d’enracinement dépend de la profondeur à laquelle l’eau peut s’infiltrer pendant la saison des pluies. Dans les climats humides les racines sont généralement superficielles à cause de l’abondance des pluies, quelle que soit leur position topographique.
Les racines sont un lien important entre l’atmosphère et la terre. Malheureusement, notre capacité à observer le comportement des racines des plantes est limitée puisqu’elles sont enfouies dans le sol. Cette étude, en complément d’études antérieures, a utilisé notre compréhension du comportement des plantes et des conditions environnementales observables. Elle nous permet ainsi de mieux connaître et prédire le monde sombre et mystérieux des racines. Cette connaissance accrue des racines améliorera notre compréhension non seulement du fonctionnement actuel de notre climat, mais aussi de la façon dont les paysages peuvent répondre aux changements climatiques futurs.
Notes de la traduction
[*] Cycles mondiaux du carbone et de l’eau
Les cycles de l’eau et du carbone sont l’ensemble des échanges d’eau/carbone qui se produisent sur la planète. Ces flux se déroulent de manière cyclique entre les différents réservoirs d’eau/carbone de la planète. Pour plus d’informations, voir les liens ci-dessous :
- Les grands cycles (eau, carbone, azote, phosphore, souffre) :
- Infographies :
[**] Pourquoi les plantes en manque d’eau réduisent-elles leur photosynthèse ?
Pour produire de la matière organique à partir d’énergie lumineuse, les plantes utilisent ce qu’on appelle la photosynthèse oxygénique. Autrement dit, elles se servent du pouvoir d’oxydation de l’eau (et de l’énergie lumineuse) pour transformer le dioxyde de carbone (source de carbone) en glucides. L’équation générale de la photosynthèse oxygénique est la suivante : 6 CO2 + 6 H2O + Énergie lumineuse —› C6H12O6 + 6 O2. Ainsi, si les plantes ne trouvent pas d’eau dans leur environnement, la réaction ne pourra pas se déclencher ; il n’y aura pas de photosynthèse.
La publication ci-présentée a été commentée suite à sa publication.
L’article de Ying Fan et ses collaborateurs a suscité deux réactions de la part de la communauté scientifique. Alain Pierret et Guillaume Lacombe (Mars 2018), puis Benye Xi, Nan Di, Jinqiang Liu, Ruina Zhang, et Zhiguo Cao (Avril 2018) ont chacun écrit une lettre au journal PNAS pour faire part au public de leur critiques, ce à quoi les auteurs ont répondu. Les critiques portaient principalement sur le fait que certaines racines étaient observées sous les nappes phréatiques. D’après les chercheurs de la publication discutée ici, cela peut être dû au fait que, sous certains climats, les nappes phréatiques peuvent se déplacer (descendent ou remontent). Cet élément a été pris en compte dans le modèle de Ying Fan et de ses collaborateurs. Pour en savoir plus : https://www.pnas.org/content/115/12/E2669 et https://www.pnas.org/content/115/17/E3863 (en anglais).
Publié le 30/03/2020
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