Cet article a été traduit depuis le site Envirobites
Écriture (anglais) : Laine Farber
Traduction : Eléonore Pérès
Relecture scientifique : Audrey Denizot
Relecture de forme : Jérémy Ferrand
Difficulté :
Temps de lecture : environ 4-5 minutes.
Thématique : Évolution (Biologie)
Publication originale : Kaminski J., et al., Evolution of facial muscle anatomy in dogs. PNAS, 2018. DOI : 10.1073/pnas.1820653116
Bow Wow Wow Yippie Yo Yippie Yay [*]
Depuis les débuts de la domestication canine [**], les chiens ont été activement sélectionnés par l’espèce humaine, par croisements successifs, selon plusieurs critères. Jusqu’à aujourd’hui, où chaque race est devenue mignonne à nos yeux, chacune à sa façon. Pense par exemple au bulldog avec son corps trapu et ses bajoues tombantes ou au golden retriever avec sa silhouette élancée et son pelage blond et soyeux. Et comment oublier le chihuahua avec ses yeux volumineux et son petit corps en forme de rat — si moche qu’il en devient mignon !
Une étude menée à l’Université de Portsmouth, en Angleterre, aurait récemment mis le doigt sur une caractéristique que les humains pourraient avoir sélectionnée, par inadvertance, rendant ainsi le « meilleur ami de l’homme » si attendrissant. Eh oui, aujourd’hui nous allons nous intéresser à l’évolution des yeux des chiens.
Évolution de l’œil chez le chien
Tous les chiens possèdent une caractéristique génétique particulière qui les rend irrésistibles aux yeux des humains : un muscle connu sous le nom de levator anguli oculi medialis, ou LAOM, qui leur donne le fameux « regard de cocker ». Sachant cela, une équipe de scientifiques, dirigée par Juliane Kaminski, a cherché à comprendre comment ce muscle s’est intégré dans leur patrimoine génétique.
Kaminski et ses collègues ont analysé l’anatomie faciale de 6 chiens de races différentes (Canis familiaris) et de 4 loups (Canis lupus) en disséquant des cadavres fournis par des taxidermistes, des musées et des réserves naturelles [#]. Comme les chercheurs s’y attendaient, toutes les races de chiens domestiques qu’ils ont étudiées possèdent LAOM, contrairement aux loups analysés. Par contre, ils ont découverts que certains loups possèdent bien le tendon où, chez le chien, LAOM est attaché (Figure 1).
L’équipe a également mené des recherches sur 27 chiens et 9 loups vivants. Un par un, un chien ou un loup a été observé et filmé par un chercheur pendant deux minutes [***]. L’équipe de recherche a ensuite enregistré la fréquence et l’intensité des mouvements des sourcils. Elle a ainsi découvert que les chiens et les loups présentent la même fréquence de mouvements de sourcils de faible amplitude. Par contre, les chiens réalisent plus souvent des haussements de sourcils de plus grande amplitude. D’ailleurs, les amplitudes maximales ne sont observées que chez les chiens.
Des sourcils au poil !
Depuis quelques années, les sourcils épais et fournis dominent les canons de beauté. Dans les années 90, la mode était aux sourcils ultra fins. En 2500 av. J.-C., les femmes et hommes égyptiens remplissaient leurs sourcils de maquillage noir pour contrebalancer leurs yeux fardés de noir. Il y a environ 130 000 ans, les Néandertaliens se baladaient avec des sourcils en broussaille, posés sur des arcades sourcilières proéminentes. Peu importe quand et comment ils ont été stylisés, les sourcils ont toujours joué un rôle crucial dans la communication non verbale entre humains. L’étude de Kaminski montre ici que le mouvement des sourcils serait aussi une forme efficace de communication non verbale entre espèces. Elle pourrait avoir été en partie responsable, inconsciemment, de l’attachement des humains aux chiens du passé et aurait ainsi contribué à leur domestication [**]. Aussi, cette caractéristique aurait été préservée au fil des croisements successifs.
Comment fonctionne le muscle LAOM ?
LAOM est un faisceau de fibres musculaires, petit mais puissant, qui permet aux chiens de soulever intensément le coin intérieur de leurs sourcils (Figure 1). Ce mouvement ressemble beaucoup à l’expression que font les humains lorsqu’ils sont tristes ou inquiets.
Essaie par toi-même : va devant un miroir et observe-toi, tout en ayant des pensées tristes. Puis fronce les sourcils. Si tu remarques que le coin interne de tes sourcils s’arque vers le haut, alors bonne nouvelle : tu es soit un humain, soit un chien !
Kaminski et ses collègues concluent que la capacité d’un chien à imiter les expressions faciales humaines (Figure 2) pourrait déclencher une réaction empathique chez son maître, donnant ainsi au toutou un avantage évolutif dans la reproduction sélective. L’étude montre ainsi que les humains ont favorisé, activement ou par inadvertance, la capacité des chiens à agrandir leurs yeux en leur donnant une apparence de bébé, changeant à jamais l’anatomie faciale des chiens domestiques.
Notes de la traduction (N.D.L.T.)
[*] Référence à la chanson Bow Wow (that’s My Name) de Lil’ Bow Wow.
[**] La domestication est le processus par lequel une espèce subit des modifications héréditaires physiologiques et/ou comportementales à force de contacts avec l’espèce humaine. Elle peut être voulue (sélection par croisements) ou non. Dans le cas du chien, il y a un débat actuellement parmi les scientifiques concernant à la fois le moment de la divergence entre chiens et loups et le début de la domestication du chien.
Des chercheurs étudient les relations de parenté entre les espèces de chiens et les espèces de loups (actuelles et fossiles), c’est ce que l’on appelle la phylogénie. Chiens et loups partagent un ancêtre commun exclusif, ce qui veut dire qu’il y a eu un épisode de divergence entre les espèces du passé. Cette divergence aurait eu lieu, selon les études, il y a entre 15 000 et 40 000 ans. Elle serait accompagnée d’un ou de plusieurs épisodes de domestication, sans que l’on sache aujourd’hui s’ils en sont une cause. Les études récentes placent les premiers épisodes de domestication du chien autour de -30 000/-40 000 ans.
[***] Le chercheur était inconnu des chiens et des loups au moment de l’étude.
[#] Aucun animal n’a été blessé au cours de cette étude.
Thalmann O., et al., Complete mitochondrial genomes of ancient canids suggest a european origin of domestic dogs. Science, 2013. DOI : 10.1126/science.1243650. [Publication scientifique]
Skoglund P., et al., Ancient wolf genome reveals an early divergence of domestic dog ancestors and admixture into high-latitude breeds. Current Biology, 2015. DOI : 10.1016/j.cub.2015.04.019. [Publication scientifique]
Botigué L. R., et al., Ancient european dog genomes reveal continuity since the early neolithic. Nature communications, 2017. DOI : 10.1038/ncomms16082. [Publication scientifique]
Publié le 07/04/2020
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