Ce papier-mâché a été écrit par des étudiantes et étudiants de Master 1 du Magistère Européen de Génétique de l’Université Paris-Cité, dans le cadre d’une collaboration pédagogique pour l’UE Communication scientifique.
Promotion 2023-2024
Écriture : Anouk Cohen-Solal, Jade Vallin, Nathan Raynaud, Samuel Bensoussan
Relecture scientifique : Aurélien Schwob, Équipe pédagogique : Pierre Kerner et Patrick Laurenti
Relecture de forme : Aurélien Schwob, Équipe pédagogique : Pierre Kerner et Patrick Laurenti
Temps de lecture : environ 10 minutes.
Thématiques : Génétique (Biologie)
Publication originale : Korgaonkar A., et al., A novel family of secreted insect proteins linked to plant gall development. Current Biology. 2021. DOI : 10.1016/j.cub.2021.01.104
Alors que chez l’espèce humaine l’acné apparaît à l’adolescence, chez la plante, des pustules appelées galles apparaissent chaque printemps. Le responsable : le puceron Piccolotte et ses piqûres chamboulent tout dans la vie de la petite plante Amélie. La discussion d’Amélie avec Mamy Ramure lui permettra de comprendre comment un si petit insecte peut lui laisser de telles marques sur son feuillage..
La petite bête pique la grosse plante
Un beau matin de printemps, aux premiers rayons du soleil, des pleurs résonnent dans la forêt. La petite Amélie, arbrisseau de l’espèce hamamélis, a vu des boursouflures rouges apparaître sur ses premières feuilles. En observant autour d’elle, elle remarque que certaines de ses congénères portent des marques similaires mais de couleur verte. Triste de ne pas ressembler à ses camarades, Amélie est inconsolable et commence à réveiller toute la forêt avec ses pleurs. Pourquoi donc a-t-elle ces boursouflures rouges qui ne lui vont pas du tout au teint ?
« Mais qui me casse les bourgeons de bon matin avant même que la rosée ne sèche ?! » s’élève une voix caverneuse derrière Amélie. Il s’agit de Mamy Ramure, le plus vieil arbre de la contrée.
Gênée d’avoir réveillé la doyenne de la forêt, Amélie balbutie en reniflant :
« Je suis navrée de vous avoir réveillée Mamy Ramure mais je ne comprends pas ce qui arrive à mes feuilles ! J’ai des boursouflures rouges qui sont apparues ces derniers jours. C’est moche, celles de mes copines sont vertes, ça s’accorde quand même mieux à notre teint ! Pourquoi est-ce que cela n’arrive qu’à moi ?! »
Alors que Mamy s’apprête à répondre à la pauvre Amélie, elle est interrompue par une petite voix aiguë et nasillarde. Piccolotte la puceronne glisse de sa feuille pour se retrouver antennes à tige avec Amélie :
« Moi je sais ! Moi je sais ! Je vais TOUT t’expliquer…
– Heuuuu avec plaisir, mais qui es-tu ?
– Je suis la cause de tous tes malheurs. Je me sers de toi et de tes feuilles pour assurer ma progéniture, répond Piccolotte. J’ai besoin de feuilles pour protéger ma descendance. Je suis une puceronne fondatrice, un parasite quoi. J’ai un papa et une maman, moi, pas mes descendants ! Je produis mes œufs toute seule moi, pas besoin de mâle ! Eh oui ! Je produis des copies de moi-même, un peu comme des clones, seuls mes enfants devront se reproduire au printemps prochain [1]. En attendant, pour assurer ma descendance, je pique ta feuille et je ponds mes œufs à l’endroit de la piqûre. Une boursouflure, appelée galle, se forme, me protège et me permet de me nourrir (Figure 1). Mes enfants et moi on est donc bien au chaud jusqu’à ce qu’ils puissent voler de leurs propres ailes, au printemps prochain, pour aller fonder leur propre famille !
– Oui oui bon, on savait déjà cela alors que je n’étais encore qu’une brindille et ça n’explique pas pourquoi Amélie a des galles rouges et d’autres en ont des vertes, intervient Mamy Ramure. Heureusement pour toi, j’ai des informations récentes qui vont t’intéresser ! »
Compte les pucerons
« Au cours de ma longue vie, j’ai eu l’occasion d’étudier cette question car plus jeune j’étais rouge de colère et de galles. Mes ancêtres m’avaient bien expliqué qu’il existait des galles vertes et rouges formées par des pucerons, mais sans plus d’explications sur ce phénomène. De nature curieuse, j’ai voulu approfondir cette question. J’ai eu comme première pensée que la couleur des galles pouvait dépendre de leur emplacement sur mes feuilles. Mais j’avais tort car la localisation des galles rouges et des galles vertes était totalement aléatoire. J’ai alors émis l’hypothèse que les pucerons déterminent la couleur des galles, mais comment ? Heureusement, par une chaude soirée d’été, j’ai surpris une conversation entre deux scientifiques qui parlaient de notre problème et avaient eu exactement le même cheminement de réflexion que le mien. À cette époque, je n’étais pas encore dure de la feuille.
Pour y répondre, les scientifiques ont comparé deux groupes de pucerons : les uns trouvés dans des galles rouges, les autres dans des galles vertes. Comme ils ne voyaient aucune différence entre eux à l’œil nu ou au microscope, ils ont pensé que des différences génétiques pouvaient expliquer la différence de couleur des galles qu’ils produisaient. Ils ont donc décidé de comparer l’ADN des pucerons pour essayer de trouver des différences au niveau de leurs gènes corrélant avec la couleur des galles formées (Figure 2) [voir pour Approfondir].
Eurekarotte ! Ils ont trouvé la racine de notre problème. Leur comparaison d’ADN de pucerons a permis d’identifier un nouveau gène, qui diffère entre les pucerons des galles rouges et vertes, qu’ils ont appelé dgc (« déterminant des couleurs de galles » ou determinant of gall color en anglais). Il existe deux versions de ce gène. En fonction de la version portée par le puceron, la couleur des galles est différente. dgc permet de produire une protéine présente dans les glandes salivaires de Piccolotte et de ses semblables. Lorsque celle-ci utilise sa trompe pour se nourrir, un peu de sa salive, et donc de la protéine, est injectée dans la feuille. D’autres nombreuses protéines appartenant à la même famille et possédant sensiblement les mêmes fonctions que celle produite par dgc ont par la suite été identifiées. La famille a été appelée BICYCLE par les chercheurs qui sont à l’origine de sa découverte. »
« Je comprends bien que, selon la version du gène présent chez le puceron qui me pique, mes galles seront vertes ou rouges. Mais quel est le mécanisme qui entraîne cette différence de couleur ? » demande Amélie de plus en plus intriguée.
En rouge et vert
« Commençons par le commencement. En temps normal, tes feuilles sont vertes car tu produis de la chlorophylle qui est un pigment végétal. En parallèle, tu produis un autre type de pigment appelé anthocyane, qui peut procurer une couleur rouge dans certaines conditions, comme à l’automne par exemple. Lorsque Piccolotte t’attaque, les protéines BICYCLE sortent de sa trompe et filent droit dans les cellules composant tes feuilles, ce qui chamboule leur fonctionnement (Figure 3). Grâce à des analyses de l’expression des gènes impliqués dans la production d’anthocyanes en réponse aux protéines BICYCLE, les scientifiques ont montré que ces protéines perturbatrices vont favoriser la production d’anthocyanes. Ces pigments vont alors s’accumuler et ainsi donner une couleur rouge-rosé à la galle. Même si tu sembles persuadée que tes copines ont de la chance d’avoir des galles vertes, en réalité quelle que soit leur couleur, leur impact est similaire. Les protéines introduites vont impacter plusieurs de tes mécanismes, notamment la multiplication de tes cellules qui sera plus rapide et importante. C’est pour cette raison qu’on observe une boursouflure permettant d’accueillir Piccolotte et sa nombreuse descendance. Les scientifiques ont aussi remarqué que notre système immunitaire, le gardien de notre bonne santé, était affaibli. De plus, les galles nous empêchent de faire de la photosynthèse [2] et consomment notre sève…
– Pardon de vous couper mais qu’est-ce que la photosynthèse ? demande Amélie.
– C’est le mécanisme par lequel on fabrique notre propre nourriture et on produit de l’oxygène en captant la lumière du soleil grâce à nos pigments verts.
– Hooo je vois, mais du coup, concrètement, qu’est-ce que cela change d’avoir des galles vertes ou rouges ?
– Honnêtement, pour le moment les scientifiques ne semblent pas avoir de réponses à cette question chez l’espèce de Picolotte. En revanche, quelle que soit la couleur, les plantes avec des galles se retrouvent affaiblies et sont plus susceptibles d’attraper des maladies. D’autres scientifiques ont récemment découvert, chez une autre espèce de pucerons qui parasitent les pêchers, que les galles rouges protègent la puceronne fondatrice et ses œufs des ultraviolets ce qui leur confèrent un avantage pour leur survie [3]. C’est peut-être une piste !
– Pour conclure, ma petite Amélie, en rouge ou en vert, les galles ne sont un avantage pour aucune plante. Arrête de râler vis à vis de ces pustules et poursuit plutôt les recherches pour comprendre le pourquoi du comment. Tu pourras alors peut-être trouver une solution pour que nous puissions vivre en harmonie avec Piccolotte et sa famille, en continuant de les protéger et les nourrir mais sans que cela ne nous affaiblisse. Je crois en tes capacités, tu gères la fougère ! »
Éléments pour approfondir
Mamy Ramure, raconte-nous le GWAS
Le GWAS, Genome-Wide Association Study, ou « étude d’association du génome complet » en français, est une méthode novatrice et puissante en génétique. Le but est d’identifier des variations minimes de l’ADN qui expliqueraient l’observation de caractéristiques précises (formation de galles rouges dans notre cas) chez certaines personnes (ou autres êtres vivants, des pucerons dans notre contexte) au sein d’une très grande population. Pour résumer, à la fin d’un GWAS, on souhaite savoir s’il existe un lien entre un trait observable et un changement dans l’ADN [4]. Le GWAS repose sur des calculs statistiques qui permettent de savoir si ce lien est seulement dû au hasard ou s’il y a bel et bien une explication génétique à l’observation de cette caractéristique.
En premier lieu, il faut diviser la population étudiée en deux groupes avec d’un côté les individus qui ont le caractère étudié (ici : les pucerons qui sont à l’origine de galles rouges) et de l’autre côté, ceux qui n’ont pas le caractère (ici : les pucerons qui sont à l’origine de galles vertes). On détermine alors la séquence d’ADN de tous les individus des deux groupes. On est en possession de nombreuses informations concernant toutes les variations d’ADN possibles dans la population. Le challenge est maintenant de déterminer parmi toutes ces informations lesquelles sont pertinentes pour expliquer le caractère qui est étudié. Pour cela, les statistiques sont la clef de ce problème.Tout d’abord, des calculs permettent de comparer le nombre d’individus dans la population qui portent le caractère par rapport au nombre de personnes qu’on s’attend à observer s’il n’y a pas de lien entre la variation de l’ADN et l’apparition du caractère. Le souci est qu’étant donné que l’on étudie des milliers d’individus, il est fortement probable que les résultats nous poussent à conclure sur l’existence d’un lien, alors que cela ne serait dû qu’au hasard. En effet, plus il y a de personnes dans les groupes, plus le hasard a un rôle à jouer et peut donc impacter nos conclusions. C’est pour cette raison que l’on va ensuite faire d’autres calculs permettant de réduire le risque d’une mauvaise conclusion. On appelle ces calculs correction de la multiplicité, on corrige le risque de se tromper, risque causé par un groupe de personnes de très grande taille. Un nombre, appelé p-value, est alors associé à chaque variation. Il permet de déterminer si l’association identifiée entre la variation et le caractère est pertinente ou non. Plus ce nombre est faible et plus l’association identifiée aura de chance d’être vraie : on dira qu’elle est significative. Les p-values associées à chaque variation sont présentées sous forme d’un graphique, appelé graphique Manhattan, en raison de son apparence similaire à la forme de buildings retrouvés dans ce quartier New-Yorkais (Figure 4).
Le GWAS ne s’arrête pas là. En effet, il ne serait pas très rigoureux de conclure sur une association entre une toute petite variation de l’ADN et un caractère parce que cette association a été observée une seule fois dans une seule population. Il est donc primordial de refaire tout le processus, explicité ci-dessus, dans d’autres populations afin de pouvoir valider les premiers résultats observés si les GWAS identifient les mêmes régions du génome dans les différentes populations à chaque fois dans les différentes populations.
En conclusion, le GWAS représente une méthode prometteuse pour identifier les liens entre les variations génétiques et les caractéristiques observables. Malgré les défis statistiques associés, son utilisation rigoureuse et sa validation dans différentes populations ouvrent la voie à de nouvelles découvertes cruciales dans le domaine de la génétique, offrant ainsi un potentiel significatif pour améliorer notre compréhension des traits biologiques.
[1] von Dohlen C. D. & Gill D. E., Geographic variation and evolution in the life cycle of the witch-hazel leaf gall aphid, Hormaphis hamamelidis. Oecologia, 1989. DOI : 10.1007/BF00377152. [Publication scientifique]
[2] Kmieć K., et al., The effect of galling aphids feeding on photosynthesis photochemistry of elm trees (Ulmus sp.). Photosynthetica, 2018. DOI : 10.1007/s11099-018-0813-9. [Publication scientifique]
[3] Zhou W., et al., Up-regulation of phenylpropanoid biosynthesis system in peach species by peach aphids produces anthocyanins that protect the aphids against UVB and UVC radiation. Tree Physiology, 2021. DOI : 10.1093/treephys/tpaa132. [Publication scientifique]
[4] Uffelmann E., et al.,Genome-wide association studies. Nature Reviews Methods Primers, 2021. DOI : 10.1038/s43586-021-00056-9. [Review]